Mali : Du mauvais usage du mot « terrorisme »

L’idée martelée d’une guerre au « terrorisme » conduit à un contresens qui masque notamment la réalité de la question touareg, les reliquats de la guerre civile algérienne et la pauvreté endémique.

Denis Sieffert  • 17 janvier 2013 abonné·es

La France est, nous dit-on, engagée au Mali dans une « guerre au terrorisme ». Depuis une semaine, il n’est pas un discours de François Hollande, de Jean-Marc Ayrault ou de Laurent Fabius sans que le mot « terrorisme » soit répété avec insistance. On voit bien l’intérêt de cette formulation. Elle fait consensus, et elle évite de se poser les questions de fond. Après douze années de propagande, depuis les attentats antiaméricains du 11 septembre 2001, le spectre d’un terrorisme sans frontières s’est répandu dans l’opinion. Ce sont les néoconservateurs américains et les dirigeants israéliens qui ont fait, au cours des dernières années, un usage surabondant de ce concept. Dans leur discours, le « terrorisme » a un avantage : il évacue toute réalité locale, sociale ou politique. Les mouvements palestiniens qui ont commis des attentats ne l’ont pas fait parce que leur revendication nationale n’est pas entendue, mais parce qu’ils sont « terroristes ». Les États essentialisent ainsi des luttes qui ont pourtant des origines nationales ou sociales. Il faut dire qu’ils ont été fortement aidés dans leur travail de propagande par Al-Qaïda et son mot d’ordre de jihad global. Nul n’ignore pourtant que ce discours « jihadiste » n’aurait aucune prise s’il n’était ancré sur des réalités et des revendications locales.

La réalité n’est pas différente au Mali. Certes, l’un des mouvements jihadistes, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), se réclame de ce tristement célèbre jihad global. Il a été en quelque sorte « labellisé » par Ben Laden, à partir de 2006. Il n’empêche que ce mouvement est lui-même issu de la guérilla islamiste algérienne des années 1990. Son fondateur est Abdelmalek Droukdal, émir du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), dissidence des Groupes islamiques armés (GIA), qu’il jugeait – ironie de l’histoire – trop violents. Malgré son discours globalisant, Aqmi rend bien compte d’une réalité locale, exportée d’Algérie. Ce qui explique d’ailleurs en partie l’hostilité inavouée, mais bien réelle, du gouvernement algérien à l’intervention française. Alger craint que cette guerre du nord Mali ramène sur son territoire ces mouvements dont il s’était débarrassé. Lundi, l’Algérie s’est d’ailleurs empressée de verrouiller ses frontières, autant que faire se peut dans cette région désertique, même si Aqmi a plutôt ses bases à proximité de la Mauritanie. Un autre mouvement jihadiste, le Mujao, le Mouvement pour l’unification du Jihad en Afrique de l’Ouest, scission d’Aqmi en 2011, est de même origine. Deux autres organisations appartiennent tout ou partie à la mouvance touareg. C’est le cas des mercenaires du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Ceux-là ont notamment contribué à importer au Mali des armes lourdes récupérées après la chute de Kadhafi en Libye. Après avoir fait alliance avec les jihadistes, le MNLA, qui ne se réclame absolument pas de l’islamisme, s’est retourné aujourd’hui contre eux, se disant même prêt à collaborer avec la France. D’autres Touaregs se retrouvent dans le mouvement Ansar ed-Dine, qui lui se réclame de l’islamisme, mais se veut surtout plus radical dans sa résistance à l’État malien.

La question touareg est donc centrale dans le conflit actuel. Amalgamée au reliquat de la guerre civile algérienne, et à une pauvreté endémique, elle est la principale cause de l’implantation, d’ailleurs toute relative, du jihadisme au nord Mali. Certes, tous les Touaregs sont très loin d’adhérer à ces mouvements. Mais la cause touareg leur donne prétexte à récupération. Les Berbères du Sahara, aujourd’hui en voie de sédentarisation, sont les oubliés de la décolonisation. La France, entre autres, a ignoré leur particularisme culturel et leur refus de se soumettre aux nouveaux États. La rébellion contre Bamako a débuté en 1990. Leur revendication d’indépendance ou d’autonomie de l’Azawad, ce vaste territoire situé au nord du Mali, a été au centre de multiples conflits. Les accords d’autonomie et les promesses mutuelles de démilitarisation, ratifiés notamment en 1991 à Tamanrasset, n’ont jamais été appliqués. La question touareg est l’archétype même d’un problème colonial irrésolu. Étant entendu que Bamako a pris le relais de la France pour tenter de soumettre les « hommes bleus » du désert. Et les événements actuels sont un terrible exemple de ce que peuvent donner le pourrissement d’une revendication à la fois nationale, culturelle et sociale, et son exploitation par l’idéologie jihadiste. Voilà pourquoi l’idée d’une guerre au « terrorisme » est plus que réductrice.

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