Cette vaste illusion du changement

Michel Surya analyse la politique du nouveau gouvernement à travers le prisme de la domination.

Nina Bontemps-Terry  • 7 février 2013 abonné·es

«L e changement, c’est maintenant », une formule bien culottée ? Michel Surya nous en persuade à travers une analyse pour le moins cynique du slogan de François Hollande. Les Singes de leur idéal est un essai écrit entre le 6 mai et le 31 août qui, en 91 variations, pose un regard critique sur le nouveau gouvernement. Le cynisme s’arrête où la misanthropie commence. Irritant, Michel Surya ne cherche pas à séduire. Assez souvent, il se laisse emporter par sa passion au détriment de la nuance. Il semble plus animé par son indignation que par sa raison. Si bien que, quand il soutient que « même la privation d’argent plaide pour la valeur souveraine de l’argent », on attend de ce postulat qu’il soit démontré. Pour autant, le livre ne vise pas moins juste. L’auteur présente la symbolique du changement comme un jeu sémantique malin qui repose sur l’espoir. L’espoir d’un peuple éreinté par les excès du sarkozysme, l’espoir d’un nouveau système plus équitable quand la crise appauvrit les plus pauvres. Mais, pour l’auteur, cet espoir ne s’appuie sur rien de foncièrement nouveau et manque en cela de créativité. Le peuple ne conçoit pas combien ce « changement » s’inscrit dans le système.

Alarmiste, Michel Surya ? C’est un euphémisme. Prêter une oreille attentive à son discours, c’est risquer un brutal désenchantement. Car il peint une politique affaiblie. Anciennement omnipotente et autoritaire, elle est aujourd’hui au service du capitalisme qui la dévore. Pour Surya, plutôt qu’adversaire – autoproclamé – du libéralisme, le gouvernement en est le complice. Car, en prétendant le combattre, il en forge les armes. Et quel meilleur allié que son propre ennemi ? En soutenant la finance, la droite est peut être la seule à lui avoir nui. Car moins le capital s’inquiète, plus il est vulnérable. Michel Surya met en avant ce paradoxe avec perspicacité.

Le gouvernement actuel s’attaque faussement au capital. Il se contente de colmater la surface d’une brèche profonde. Et, au creux de cette brèche, l’amour inconditionnel de l’argent prospère. Tous n’ont d’yeux que pour lui, affirme l’auteur. Ceux qui en ont le moins sont prêts à tout pour le gagner, ceux qui en ont le plus sont prêts à tout pour le garder. « À personne l’argent n’est si cher qu’à celui à qui il se refuse. » C’est, selon l’auteur, la source de l’ultralibéralisme. Et tant que l’argent règne sans partage, aucun gouvernement ne peut prétendre à un changement de système. Michel Surya regarde tout cela de haut. D’assez haut pour fournir une grille de lecture cohérente, bien que peu didactique. Mais cette analyse appelle une suite : changer de système, oui, mais comment ?

Idées
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