« Petites Sirènes », par Alexis Moati : Poésie de l’inachevé

Dans Petites Sirènes , Alexis Moati revisite le conte d’Andersen, qui devient un chant à troix voix.

Anaïs Heluin  • 7 février 2013 abonné·es

Si Joël Pommerat est le plus fameux des metteurs en scène français à adapter des contes, à en montrer la violence et les rapports avec la réalité, d’autres s’engagent dans cette même voie. Récemment, Nicolas Liautard créait une sublime Petite Marchande d’allumettes, tantôt onirique, tantôt hyperréaliste. Avec ses Petites Sirènes, Alexis Moati s’inscrit également dans cette tendance du conte théâtral, destiné tant aux enfants qu’aux adultes. Le metteur en scène choisit de tourner le dos à l’imagerie du dessin animé et à tout effet visuel spectaculaire pour se concentrer sur le texte. Sur sa poésie un peu rugueuse, cruelle derrière un abord naïf peuplé de jolies ondines, de châteaux immergés sous les flots et de princes aux manières charmantes.

Pour donner à voir et à entendre la complexité souvent insoupçonnée du récit d’Andersen, Alexis Moati met celui-ci dans la bouche non pas d’un mais de trois personnages. Le premier (Fanny Avram) est une jeune fille bien de notre temps. Enfermée dans sa chambre, elle se plonge dans la lecture du conte et s’identifie à l’héroïne, l’actualise jusqu’à ce que celle-ci apparaisse sous les traits de Léna Chambouleyron, à fleur de peau. Enfin, une femme sans âge, incarnée avec puissance et gravité par Chloé Martinon, relate l’histoire de la petite sirène à la manière d’un fait historique, en tant que témoin d’une époque lointaine, d’un univers régi par le « il était une fois ».

En partageant la scène , en formant un ballet tissé de correspondances, un chant choral à trois voix distinctes mais réunies par une même angoisse, les trois comédiennes insinuent que dans chaque adolescente se cache une petite sirène. Et que la poésie d’Andersen réside dans son exploration de l’inachevé, dans sa faculté à se laisser apprivoiser par toute voix en cours de définition. Car c’est bien à la période qui précède tout juste la mue, pendant laquelle l’individu expérimente le plus grand nombre de registres et de tonalités, qu’Alexis Moati s’attache dans Petites Sirènes. Jonché d’une multitude de vêtements, à la fois tentations et injonctions d’entrer dans une certaine norme esthétique, le plateau donne à l’adolescence l’allure d’un être chétif menacé par un océan de contraintes. Sa seule échappatoire : l’univers du conte, si tragique soit-il. Bien visibles au milieu des tas de fripes, des bocaux en verre dans lesquels tombent des gouttes d’eau symbolisent ce règne de l’imaginaire. Quelques gouttes de poésie contre une marée de refoulement.

Théâtre
Temps de lecture : 2 minutes