Un « printemps » qui dure longtemps

Loin des clichés, Gilbert Achcar tisse une analyse complexe des soulèvements arabes.

Lena Bjurström  • 21 février 2013 abonné·es

Le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi, jeune vendeur ambulant de Sidi Bouzid, s’immole par le feu, déclenchant par son acte une onde de choc qui traverse la Tunisie, puis l’Égypte, le Yémen, Bahreïn, la Libye et la Syrie. « En révolution, il n’y a pas de contagion par l’exemple sans terrain favorable »,* écrit Gilbert Achcar, pour qui ces insurrections trouvent leur source dans l’épuisement face aux pouvoirs autoritaires, certes, mais surtout dans une situation socio-économique devenue intenable. Reprenant de façon critique les indicateurs internationaux (produit intérieur brut, indice de développement humain…), l’auteur dresse le portrait de populations précarisées par une variante du système capitaliste propre à cette région.

Tandis que les États despotiques s’appuient sur la rente des ressources minières, le fossé se creuse toujours plus entre les bénéficiaires des régimes et les autres, femmes et jeunes notamment, relégués dans une économie informelle et précaire. Les « conditions objectives » d’une explosion sont réunies, selon l’auteur, qui s’interroge sur son évolution – de révolte à révolution – en étudiant acteurs des soulèvements. La place prépondérante des Frères musulmans, rattachés assez tard aux mouvements tunisien et égyptien, semble ainsi à relativiser. De même que cette « révolution facebook » qui a fait couler beaucoup d’encre. Si le rôle du « cybermilitantisme » paraît indéniable dans l’évolution de la révolte vers un soulèvement généralisé, son efficacité repose, selon Gilbert Achcar, sur des réseaux réels, tissés par des années de lutte économique et sociale, en Tunisie et en Égypte notamment. Et c’est dans l’organisation de ses acteurs que s’ancrent les révolutions, estime l’auteur.

Adoptant une interprétation résolument marxiste, Gilbert Achcar s’attache à décortiquer les poncifs formulés depuis deux ans sur ces soulèvements. À commencer par le premier : cette séduisante idée de « printemps » arabe qui soutient l’illusion d’un mouvement historique appartenant déjà au passé. Deux ans après, le « printemps » semble loin d’être terminé. Si la thèse est intéressante, la lecture de l’ouvrage demeure ardue pour qui ne possède pas les connaissances économiques et historiques relatives à cette région du monde. Et la précision, louable, de Gilbert Achcar n’ouvre pas à tous les portes de son raisonnement. Pourtant, l’analyse a le mérite de rassembler en un seul ouvrage une synthèse très large, permettant ainsi d’embrasser l’ensemble du paysage et d’esquisser quelques brouillons d’avenir.

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

« Rendre sa dignité à chaque invisible »
Entretien 11 septembre 2025 abonné·es

« Rendre sa dignité à chaque invisible »

Deux démarches similaires : retracer le parcours d’un aïeul broyé par l’histoire au XXe siècle, en se plongeant dans les archives. Sabrina Abda voulait savoir comment son grand-père et ses deux oncles sont morts à Guelma en 1945 ; Charles Duquesnoy entendait restituer le terrible périple de son arrière-grand-père, juif polonais naturalisé français, déporté à Auschwitz, qui a survécu. Entretien croisé.
Par Olivier Doubre
La révolution sera culturelle ou ne sera pas
Idées 10 septembre 2025 abonné·es

La révolution sera culturelle ou ne sera pas

Dans un essai dessiné, Blanche Sabbah analyse la progression des idées réactionnaires dans les médias. Loin de souscrire à la thèse de la fatalité, l’autrice invite la gauche à réinvestir le champ des idées.
Par Salomé Dionisi
Fabien Roussel : « Le temps est venu de la cohabitation »
Entretien 9 septembre 2025 abonné·es

Fabien Roussel : « Le temps est venu de la cohabitation »

François Bayrou vient de tomber. Fabien Roussel, le leader du Parti communiste français, lui, prépare déjà la suite, appelant Emmanuel Macron à nommer un premier ministre de gauche. Il rêve d’imposer un gouvernement de cohabitation pour changer drastiquement de politique.
Par Lucas Sarafian et Pierre Jequier-Zalc
L’IA, une nouvelle arme au service du capital
Travail 4 septembre 2025 abonné·es

L’IA, une nouvelle arme au service du capital

L’intégration de l’intelligence artificielle au monde du travail suscite nombre de prédictions apocalyptiques. Et si elle n’était qu’une forme renouvelée du taylorisme, désormais augmenté par le numérique ?
Par François Rulier