Chronique d’une maladie

« Vivre en positif » dresse un état des lieux du sida, placé sous le signe de la prévention et de l’espoir, vendredi 5 avril, à 22 h 20, sur Arte.

Jean-Claude Renard  • 28 mars 2013 abonné·es

Star médiatique dans les années 1970 et 1980, chargé des relations publiques des Pink Floyd, de Téléphone ou de Lou Reed, animateur de radio, ancien directeur des programmes d’Arte, Alain Maneval est ce qu’on appelle un « long time survivor », séropositif depuis vingt-cinq ans. L’expérience suffisante pour dresser les bilans face au sida. 1982, la maladie fait déjà des ravages. 1983, les professeurs Montagnier et Barré-Sinoussi découvrent le virus. 1986, on se félicite de la découverte de l’AZT, qui permet de ralentir l’évolution de la maladie. 1987, la publicité pour les préservatifs est (enfin) autorisée en France. 1993, Act Up-Paris encapote l’Obélisque, place de la Concorde. 1996, de nouveaux traitements plus efficaces, avec les trithérapies. 2010, les séropositifs sont autorisés à entrer et à voyager aux États-Unis. Trente ans. Entre les dates et les chiffres, des vies humaines et le récit d’une pandémie mené par Alain Maneval, lui qui ne devait pas voir l’an 2000, devant la caméra de Jérôme Lefdup.

En un kaléidoscope rythmé (où le protagoniste principal s’efface aisément derrière son sujet), le film laisse entendre les analyses d’immunologues, évoque la succession des campagnes médiatiques, le travail d’Act Up, le passage d’une trentaine de cachetons par jour à quelques pilules, recueille les propos d’autres « long time survivors » qui disent les maux, quand il s’agit de « résister », de « trier l’urgence », de « préparer son deuil à la vie », avant de « faire le deuil de son deuil » grâce aux trithérapies, « apprendre à vieillir avec le VIH », « s’imaginer vieux ». Un long chemin semé d’embûches. Pas de hasard si certains témoins s’expriment aujourd’hui encore de façon anonyme pour ne pas risquer de perdre leur emploi, tel François, touché par le virus en 1987. Un long chemin médical, politique et humain dont témoignent aussi Fred Navarro, ancien président d’Act Up, Arthur Vuattoux, vice-président de l’association, Jean-Charles Colin, président de la Fédération lesbiennes, gays, bi et trans de Paris Île-de-France, ou Grégory Bec, fondateur de l’association les Petits Bonheurs, accompagnant les malades. À la fois historique, très pédagogique, illustré d’animations, Vivre en positif s’enrichit aussi de nombreux extraits des films d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, comme Jeanne et le garçon formidable, Drôle de Félix, ou Nés en 68. Des œuvres emblématiques nourrissant ce récit d’une histoire individuelle et collective.

Un récit qui s’autorise une incursion en Guadeloupe, deuxième département français (après la Guyane) le plus touché par la maladie, et dont la situation renvoie aux premières années du sida, entre homophobie et tabou. Une incursion caribéenne qui déséquilibre géographiquement le film (le sujet méritant à lui seul un documentaire) mais qui apporte un autre éclairage sur les défaillances de la santé publique. À commencer par la prévention, leitmotiv du documentaire. « Il y a quinze ans, se souvient Jacques Martineau, on avait évoqué l’idée de prévention ciblée, parce que les premières cibles de l’épidémie étaient les toxicomanes, les homosexuels et en partie les populations immigrées. On nous a répondu : “Non, non, il ne faut pas stigmatiser !” Résultat des courses : on faisait des messages de prévention qui ne s’adressaient à personne ! Derrière la question du sida, il y a des questions de pratiques sexuelles dont on ne veut pas parler. […] On vous dit qu’il ne faut pas faire de campagne choc parce que la campagne choc s’accompagne forcément d’un message lié à la sexualité. Aujourd’hui, la prévention routière est capable de réaliser des campagnes qui me paraissent extraordinairement brutales. Il ne faut pas avoir peur de dire qu’il y a des pratiques sexuelles qui sont plus risquées que d’autres. » Justement, aujourd’hui est une période charnière : si les trithérapies ont offert un avenir à des personnes condamnées, le vrai risque étant le déni, prévention et vigilance demeurent la priorité.

La priorité d’un film qui s’écrit néanmoins au positif, décline à l’envi son optimisme. Qui entend rire et sourire du drame. Au diapason, précisément, des films de Martineau et Ducastel. Trempés de subtilité, de légèreté, aux partis pris éditoriaux et esthétiques risqués, négociant avec le drame, dépourvus de pathos et remarquablement aboutis.

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