Les États-Unis face au péril démographique

Un nouveau livre sorti outre-Atlantique explore les causes de l’inquiétant vieillissement de la population américaine.

Alexis Buisson  • 14 mars 2013 abonné·es

Imaginez un monde où les écoles sont obligées de fermer faute d’élèves et d’enseignants. Où les immeubles abandonnés sont investis par les herbes ou convertis en parcs. Ce monde existe déjà dans certaines villes allemandes, qui doivent faire face au déclin lent mais inexorable de leur population. L’exemple allemand fait partie de ceux cités par Jonathan Last dans son dernier livre, What to expect when no one is expecting (littéralement : « Qu’attendre quand plus personne n’attend d’enfants ») pour décrire le futur des États-Unis. Le journaliste américain, conservateur, y explore les causes du déclin annoncé de la population américaine –  « un désastre démographique » comme il l’appelle – et ses conséquences sur le dynamisme du pays. Au mieux, dit-il, il faut s’attendre à une stagnation économique à la japonaise, au pire à un effondrement de l’État providence américain. « C’est un livre pessimiste, reconnaît-il volontiers. Même les pays comme la France ou les nations scandinaves qui ont de fortes politiques natalistes ne parviennent pas à atteindre le seuil de renouvellement de leur population. Il y a de nombreuses forces, bonnes ou mauvaises, qui jouent contre la natalité.»

Jonathan Last part d’un constat simple : les États-Unis sont sous le seuil du renouvellement démographique, soit « 2,1 » enfants par femme. Il souligne le fait que la femme blanche diplômée du supérieur, qui fut la locomotive de la natalité ces dernières décennies aux États-Unis, ne fait plus que 1,6 enfant, se rapprochant ainsi du taux de natalité chinois. «   Sans le savoir, les États-Unis ont mis en place une politique de l’enfant unique pour les femmes des classes moyennes. » Autre facteur d’inquiétude : le taux de natalité en baisse des femmes issues de l’immigration, en particulier hispaniques. D’ici à 2100, leur natalité rejoindra celle des non-immigrées, à 1,7 enfant par femme. Les causes sont multiples, difficiles à cerner. Bien loin de préjugés sur l’« enfant roi », Last décrit une société devenue, malgré elle, anti-enfants. Que ce soit le coût de l’éducation, qui a augmenté de 1 000 % en dollars réels depuis les années 1970, la chute du taux de mariage et l’accroissement des divorces, le culte du « sexe sans enfants » ou la féminisation du marché du travail : tous ces facteurs contribuent de près ou de loin au ralentissement de la natalité, dit-il. « Le plus inquiétant, précise-t-il, est que le taux de natalité “idéal” [celui désiré par les couples, NDLR] est désormais en dessous du taux de remplacement.  »

Les conséquences seront graves, poursuit l’auteur : le vieillissement de la population va mettre le système public de retraites, financées par répartition à travers un fonds dédié, sous pression. Les dépenses de santé, déjà élevées, vont augmenter. Faute de cerveaux, de travailleurs, de contribuables et d’acheteurs sur le marché de l’immobilier, l’activité économique va se contracter. Les États-Unis ne pourront même plus compter sur le réservoir démographique qu’est l’immigration car, note-t-il, les taux de natalité des pays d’Amérique latine chutent aussi. Et quand bien même ce ne serait pas le cas, il faudrait faire venir 10 millions d’immigrés (soit la population d’une ville comme New York) tous les ans jusqu’en 2050 pour maintenir l’équilibre des comptes de la retraite. Difficilement réalisable. « Il faudrait changer notre culture, souligne Jonathan Last. Parfois, une loi peut le faire, mais c’est difficilement prévisible. » Plusieurs démographes ont déjà identifié cette bombe à retardement. Dowell Myers, professeur de démographie a l’université de Caroline du Sud, en fait partie. Pour lui, les décideurs politiques ne devraient pas agir sur le taux de natalité, mais « investir davantage dans les enfants », notamment issus des minorités, pour augmenter la productivité par tête. « Il est très difficile de faire bouger le taux de natalité car celui-ci est lié à la culture et aux structures sociales, indique-t-il. Mais nous devons maximiser la valeur des enfants que nous avons en investissant davantage dans le système éducatif, par exemple. Aujourd’hui, nous traitons nos enfants comme un surplus, comme ce fut le cas lors du baby-boom. Cela doit changer. » Mais force est de constater que la démographie est l’une des grandes absentes du débat public américain. « Le premier baby-boomer américain a passé le seuil des 55 ans l’an dernier, rappelle Dowell Myers. Au fur et à mesure que les autres passeront ce seuil, la situation va devenir explosive. Ce n’est pas idéologique, c’est un fait de la vie. La classe politique ne veut pas parler d’un problème sans avoir de solution. Comme elle ne peut empêcher le vieillissement de la population, elle l’ignore. »

Idées
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