Top Chef : Recette d’un succès

Concours de cuisine sur M6, « Top chef » est à voir comme un condensé de la télévision commerciale.

Jean-Claude Renard  • 14 mars 2013 abonné·es

Seize candidats en lice. Seize cuisiniers déjà versés dans le métier, entre chefs, seconds, sous-chefs (au creux d’un univers très militarisé). Tous inscrits à un concours télé. Soumis à la sanction d’un jury, constitué de casseroleurs reconnus : Ghislaine Arabian, Christian Constant, Cyril Lignac, Thierry Marx, Jean-François Piège. Pour sa quatrième saison sur M6, l’audience ne faiblit pas. Et réunit chaque lundi, pendant près de trois heures, autour de 3,5 millions de téléspectateurs.

« Top chef » se déploie comme un télé-crochet, avec un candidat sorti du concours chaque semaine, jusqu’à aboutir à une « grande finale ». En préambule, le programme dresse le portrait des candidats. Avec leur milieu familial, leurs motivations, leurs obsessions. Autant d’aventures humaines, palpitantes et sensibles, déclinées dans la chaleur du petit écran. Avant de passer aux épreuves, épine dorsale du programme. Des épreuves articulées autour d’un produit ou d’une thématique. À chaque candidat de réaliser un plat épatant en un temps donné, de « sublimer le produit », d’être « au rendez-vous gustatif ». Avec quelques défis pimentés. Ici, crise oblige, la confection d’un plat à partir d’un produit extirpé des rayons d’un supermarché (la Vache qui rit, une boîte de maïs ou de thon), la reproduction d’un autre plat, à peine identifié dans une chambre noire au toucher et au goût ; là, une assiette réalisée autour du lapin, d’un pavé de cabillaud, de l’œuf ou de charcuteries diverses. À chaque exercice son lot de surprises, de contraintes parfois farfelues, loin de la réalité des fourneaux, comprises dans un compte à rebours. En jeu, de l’audace, toujours de l’audace. Ceux qui passent les étapes ne sont pas forcément les plus créatifs et les plus techniques, mais ceux qui savent marier tradition et innovation, glisser de la malignité dans la spontanéité. À l’occasion, un grand chef vient donner son coup de pouce ou livrer sa recette pour le téléspectateur. Intervient ainsi Cyril Lignac, pur produit télé, pur produit M6, très corporate pour le coup. Les candidats ne doivent pas seulement séduire le jury. Ils doivent aussi composer avec des éléments perturbateurs : Michou et ses Michettes, Pierre Palmade et Michèle Laroque ou une bande de culturistes. Ils doivent aussi se confronter à la délocalisation : chez Michou à Pigalle, au Cercle des nageurs de Marseille, chez Laure Manaudou et Frédéric Bousquet, dans un parc d’attractions pour l’anniversaire de deux mouflets exigeant leurs poids de pièce montée, au Stade de France enfin, pour cuisiner en nocturne. Il s’agit de déstabiliser les candidats, de tester leur personnalité. Faire du spectacle. Entrelardé toutes les trente minutes d’une page de pub (Piège et Marx vantant les mérites du liquide vaisselle Mir, Marc Veyrat et son jambon Madrange, et les produits Auchan en partenaires privilégiés).

Au bout des dégustations et des notes, le jury élimine le maillon faible. Moment propice à la corde sensible, filmé de près (« Top chef » a supprimé l’humiliation des premières saisons pour des raisons d’éthique cathodique). Si « Top chef » se veut dans la séduction de son client, on y trouve toutes les recettes de la télé d’aujourd’hui : une sélection, de la pression dans le divertissement, des rebondissements et des coups de gueule sciemment orchestrés, une élimination, un montage électrisé, une pub ciblée, des candidats attachants qui obtiennent leur « quart d’heure de célébrité » et un jury d’experts. Peu importe que le chef ne précise pas, de son côté, combien de temps il a mis pour réaliser sa recette imposée ou qu’il soit épaulé par un commis à l’épluche. Peu importe que Ghislaine Arabian ne goûte pas au poisson (elle est allergique à l’iode) ou que Thierry Marx, végétarien, ne teste pas les plats de viande. C’est filmé de telle sorte que le téléspectateur passe au travers. Peu importe que l’on cuisine la tomate ou la fraise en plein hiver (c’est tourné en automne, durant 7 semaines, avec 31 jours de plateau). Peu importe les saisons. On est dans le rêve, la flatterie et l’accroche. Avec une spectacularisation et une scénarisation poussées. Soit un condensé de la télévision.

Médias
Temps de lecture : 4 minutes