Une « class action » française

Un projet de loi instaure la possibilité d’engager des démarches collectives en justice. Première déception pour les associations : la loi sera restreinte aux préjudices économiques.

Ingrid Merckx  • 14 mars 2013 abonné·es

Les actions de groupe à la française, les consommateurs en rêvaient, Benoît Hamon l’a fait. C’est en substance ce qui se dit dans son cabinet en prévision du projet de loi sur la consommation qui doit être présenté le 24 avril en Conseil des ministres. De fait, les deux premiers articles de ce projet sont dévolus aux actions de groupe, dispositif de contentieux qui permet à un grand nombre de consommateurs de porter plainte conjointement. C’est dire la portée de cette affaire, qui représente une nouveauté dans le droit français. Mais l’événement risque de décevoir certaines associations de victimes. En effet, le champ couvert par le projet du ministre chargé de la Consommation s’en tient aux préjudices économiques. Exit les préjudices sanitaires et moraux. Les contentieux liés aux produits de santé (Mediator, pilule contraceptive, prothèses PIP, etc.) ne seront pas concernés. Pas plus que l’environnement, pour lequel la notion de préjudice même est encore floue (voir Politis n° 1240). Une avancée plutôt qu’une révolution ?

« La procédure a toujours été cantonnée à une individualisation du préjudice et donc de l’action. On change de paradigme : c’est quand même un progrès considérable »,* estime Alain Bazot, président de l’UFC-Que choisir. « L’idée était de pouvoir agir vite, explique Lorentino Lavezzi, conseiller de Benoît Hamon. Les petits préjudices économiques peuvent se résoudre simplement et les victimes obtenir réparation rapidement. » Le retentissement possible de telles actions est loin d’être ridicule : dans les affaires liées à la téléphonie mobile, comme l’alliance SFR-Orange-Bouygues en 2004, près de 20 millions d’usagers étaient concernés. Appelée « Yalta du portable », l’entente illicite sur des prix entre les trois opérateurs s’était soldée par une condamnation assortie d’une amende de 534 millions d’euros. L’UFC-Que choisir avait demandé comment seraient indemnisés les usagers. Les actions de groupe apportent une solution. « Individuellement, les sommes sont souvent trop modiques pour que les consommateurs engagent seuls les frais d’un avocat. Mais, pour un groupe, le montant peut atteindre des millions ! », souligne Lorentino Lavezzi. Autres secteurs concernés : les assurances ou l’automobile. « Ce qui m’inquiète, confie toutefois Alain Bazot, c’est la possibilité que la loi fixe un seuil du montant des préjudices. Si elle se limitait à de “petits” préjudices, cela pourrait invalider 90 % des actions. » Le diable est-il dans les détails ? En tout cas, le cahier des charges était clair : « François Hollande voulait à tout prix éviter les dérives à l’américaine, où un avocat peut monter un groupe pour défendre une action juteuse, raconte Lorentino Lavezzi. Il fallait aussi tenir compte des règles de compétitivité. » C’est chose faite : « le Conseil national de la consommation a été saisi. Le message a été entendu par le Medef. »

Autre garde-fou : « Seules les associations agréées pourront porter des actions de groupe, ceci pour éviter que se constituent des groupes ad hoc qui pourraient déstabiliser une entreprise. En outre, c’est le juge qui définit le groupe. » Les affaires seront portées devant les tribunaux de grande instance, avec une cour d’appel unique. « Un dommage économique est identique pour toutes les victimes, c’est plus facile à plaider, poursuit Lorentino Lavezzi. Les questions sanitaires posent problème car les conséquences peuvent varier d’une personne à l’autre. Les expertises sont longues. Et puis des fonds d’aides sont levés… » L’autre raison de ce champ restreint, c’est que le ministère chargé de la Consommation a été seul mandaté sur une question où il aurait fallu travailler conjointement avec le ministère de la Santé, notamment, pour concocter un projet opérant dans tous les domaines. Mais cela aurait pris plus de temps. « Il vaut mieux un bon schéma qui aille au bout, jusqu’à l’indemnisation, plutôt qu’un projet de fausse action groupée, comme c’est arrivé par le passé », tempère Alain Bazot. Difficile de s’en assurer : pour l’heure, il y aurait comme « une petite omerta » sur le texte. L’espoir, si ce nouvel outil juridique émerge bien, et sans plafond, c’est aussi qu’il puisse faire des petits.

Société
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