Woyzeck l’immigré

Jean-Pierre Baro assimile son père, un Sénégalais exilé, et le héros désespéré de Büchner.

Gilles Costaz  • 28 mars 2013 abonné·es

De Woyzeck, la tragédie de Georg Büchner, monument du romantisme allemand, on fait ce qu’on veut : l’auteur a laissé un énorme manuscrit touffu dans lequel il faut faire des choix et tracer des voies. Jean-Pierre Baro, qui monte une très libre adaptation de la pièce, n’a pas cherché à recomposer le manuscrit tel que Büchner aurait pu le transformer s’il n’était mort jeune. Non, il en fait une histoire personnelle !

Le destin de Woyzeck pourrait inspirer une romance à deux sous. Simple soldat, il vit pauvrement et assiste à l’infidélité de sa femme, acoquinée avec un officier. Il finit par la tuer et se donne la mort en se noyant dans un étang. Jean-Pierre Baro , en accolant le texte romantique et le récit de la vie de son père, n’a pas trouvé d’équivalences du côté de la folie criminelle mais dans le climat d’exclusion. Le père de Baro est sénégalais : arrivé en France dans les années 1960, il a connu, dans le monde du travail, une forme d’isolement mental fort douloureux. Aussi Jean-Pierre Baro a-t-il mêlé des scènes de Büchner et d’autres écrites par lui. Le plateau aligne des espaces vides et des éléments en désordre : un juke-box, des bancs, des sacs en plastique… Aucun souci d’esthétique. Les personnages sont habillés sans recherche et ont des gestes triviaux, parfois se déshabillant ou s’adonnant aux fureurs du sexe. On s’y perd un peu si on n’a pas lu le programme. Pourquoi deux Marie (Marie étant la femme de Woyzeck) ? En réalité, ce ne sont pas deux Marie mais l’épouse de Woyzeck et son double moderne, qui témoigne sur l’immigré.

En revanche, il n’y a qu’un Woyzeck, un homme noir joué dans une belle étrangeté par Adama Diop ; en lui se fondent deux êtres écrasés par un même égarement, une même souffrance. L’action avance par à-coups. Tantôt contée, tantôt accélérée et jouée dans la frénésie, parfois dans un grotesque volontaire et dans un climat de rock et de variétés anglo-américaines. Cécile Coustillac, Sabine Moindrot, Tonin Palazzotto sont, avec Diop, quelques-uns des acteurs de ce moment très poignant qui, dans la banalité et la laideur, trouve une évidente beauté.

Théâtre
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