Attentats de Boston : L’Amérique a-t-elle mûri ?

Après l’attentat de Boston, le pays s’interroge sur son modèle d’intégration. Correspondance d’Alexis Buisson.

Alexis Buisson  • 25 avril 2013 abonné·es

C’est le jour que l’Amérique redoutait. En ce 15 avril, Jour des patriotes, la terreur a frappé près de la ligne d’arrivée du marathon de Boston. Deux bombes y ont explosé, faisant trois morts et près de 180 blessés. Les auteurs présumés : Dzhokhar et Tamerlan Tsarnaev, deux frères de 19 et 26 ans, originaires du Caucase, arrivés aux États-Unis en 2003 en toute légalité. Tamerlan a été tué après un échange de tirs avec la police, Dzhokhar a été interpellé le lendemain dans un état grave, au terme de 48 heures de traque policière. Depuis, l’Amérique se pose des questions sur les raisons de cette tragédie, premier attentat réussi sur le sol américain depuis le 11 septembre 2001. Certes, les États-Unis ont gagné en maturité – pour The Atlantic, magazine de Boston, les Américains «   ont moins peur et sont moins prêts à blâmer la religion qu’après le 11 Septembre ». Mais certains débats demeurent. Parmi eux : les rapports complexes entre liberté et sécurité. «   Nous pouvons faire beaucoup plus pour préserver notre sécurité tout en maintenant l’ american way of life  », estime Lawrence Harmon, chroniqueur au Boston Globe, le quotidien de Boston. Et de plaider pour une meilleure formation des personnels de sécurité et un accroissement des contrôles dans les lieux publics. «   Si les attentats du marathon peuvent nous apprendre quelque chose, c’est que nous avons besoin d’un nouveau type de gardes spécialisés pour repérer les individus et les situations suspects ». Le site d’information Slate se demande, lui : «   À combien de libertés devrions-nous renoncer ?   », mais répond que de nouvelles restrictions ne seraient pas efficaces. «   Certaines des pires violations des libertés civiles après le 11 Septembre sont arrivées rapidement, quand le niveau d’alarme était élevé   », prévient-il.

Plus que le débat sécuritaire, c’est celui sur l’intégration des immigrés qui commence à poindre. Rien d’étonnant dans un pays qui s’est bâti sur sa tolérance envers les étrangers. Le Wall Street Journal voit dans le parcours des deux suspects «   une histoire d’immigration pleine d’espoir qui a dégénéré ». Il rappelle que les deux frères (l’un natif de Russie et l’autre du Kirghizstan) se sont réfugiés au Daguestan en 2001 avant de gagner les États-Unis, où ils ont été scolarisés. Pour Anne Applebaum, chroniqueuse pour la revue Foreign Affairs et le Washington Post, «   le comportement des frères Tsarnaev ressemble moins à celui de terroristes formés et entraînés qu’à celui des musulmans européens de deuxième génération qui ont monté les attentats de Madrid et de Londres. Éduqués et élevés en Europe, ces jeunes ne se sentaient pas chez eux. Incapables de s’intégrer, certains se sont tournés vers le souvenir à demi-mythologique de leur terre natale pour se construire une identité plus forte   ». Sebastian Rotella, spécialiste du terrorisme au site d’enquête ProPublica, fait lui aussi le parallèle avec les attentats européens, soulignant que les deux suspects incarnent une nouvelle génération de terroristes domestiques. «   Les suspects sont le mélange de ce que les autorités redoutent le plus   *: ce sont des résidents de longue date, américanisés, qui connaissent bien la société, mais qui ont un profil qui leur permet de développer des liens avec l’idéologie islamiste extrémiste, voire des mouvements à l’étranger.*   »

Même analyse pour Rick Nelson, expert en contre-terrorisme, interrogé par Business Week  : «   Après plus d’une décennie de combat contre le terrorisme international, nous savons que faire d’Al-Qaïda. Nous savons comment démanteler cette organisation. Nous comprenons cet ennemi. Mais nous ne savons pas quoi faire quand des Américains épousent une idéologie radicale et commettent des actes de violence.   » Les répercussions politiques de cet épisode se font déjà sentir sur la réforme du système d’immigration, actuellement en débat au Congrès. Un sujet sensible : rappelons que la régularisation des 11 millions de clandestins actuellement sur le sol américain est en jeu, de même que le renforcement des contrôles aux frontières. Dans la foulée de Boston, un sénateur républicain de l’Iowa, Chuck Grassley, a appelé les parlementaires à remédier aux carences du système d’immigration actuel. Les démocrates sont immédiatement montés au créneau pour garder la tragédie bostonienne en dehors de ces débats. Mais, pour le Los Angeles Times, «   il se peut que les connexions – bien que ténues – que le sénateur Grassley essaye de faire entre immigration et terrorisme trouvent un écho ». Pour The Atlantic, il y aura peut-être un écho, mais traduire les enseignements de Boston en mesures législatives est impossible. «   Il n’y a aucune méthode de contrôle de l’immigration, aucune investigation psychologique qui puisse sonder les profondeurs d’une personne ou prédire comment elle se comportera. »

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