Chômage : d’autres réponses

Présenté par le gouvernement comme un outil pour sécuriser l’emploi, le projet de loi transposant l’accord national interprofessionnel du 11 janvier est fortement critiqué à gauche. Quatre représentants politiques avancent ici des propositions alternatives.

Politis  • 4 avril 2013 abonné·es

En débat à l’Assemblée nationale depuis le 2 avril, le projet de loi dit de « sécurisation de l’emploi », qui traduit l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier, est mis en cause par les différents partis de gauche, y compris par des parlementaires socialistes. Quatre représentants politiques proposent ici leurs solutions.

Martine Billard

ex-députée, coprésidente du Parti de gauche

Les socialistes sont nombreux à pétitionner contre l’Accord national interprofessionnel sur la réforme du travail. Lancé par des élus et responsables socialistes locaux, le texte intitulé « Pour renforcer les droits des salariés, le non socialiste au Medef » avait recueilli 1 400 signatures le 28 mars. Les principaux points du projet de loi transposant l’ANI sur l’emploi y sont largement critiqués. La pétition, signée notamment par Marie-Noëlle Lienemann, Emmanuel Maurel, Gérard Filoche, Jérôme Guedj et Julien Dray, souligne qu’il « faut renforcer les droits des salariés, pas les brader » .

De leur côté, les trois organisations syndicales CGT, FO et Solidaires, qui ont organisé une journée d’action le 5 mars, ont appelé à une nouvelle mobilisation le 9 avril, date de la fin de l’examen du projet de loi dit de « sécurisation de l’emploi » à l’Assemblée nationale. Après l’annonce de chiffres records du chômage, la CGT veut « empêcher la transposition dans la loi du contenu de l’ANI du 11 janvier » , et souhaite un « changement de cap en matière de politique d’emploi » ainsi que des « garanties sociales pour les salariés ».

« On n’arrête pas de nous dire que l’accord national interprofessionnel (ANI) sur l’emploi signé le 11 janvier est issu du dialogue social, mais il s’agit d’une sécurisation de toutes les procédures favorables au Medef. Lequel exige depuis des années que les licenciements soient plus rapides, moins coûteux, avec moins de contrôle de la justice. Cet accord répond exactement aux souhaits du patronat. Dans une période de crise économique, cela veut dire plus de chômage pour les salariés et peu d’espoir de s’en sortir. Aujourd’hui, ils peuvent se battre avec le droit du travail existant, obtenir des améliorations, moins de licenciements, voire pas de licenciements. Avec le nouvel accord, ce sera irréalisable. On assiste donc à une dégradation du rapport de force entre salariés et employeurs pour ce qui est de la sécurisation de l’emploi. Nous proposons d’autres pistes. Le Parti de gauche a participé, avec l’ensemble des forces du Front de gauche, à la rédaction d’une proposition de loi contre les suppressions de postes et les licenciements dans les entreprises qui font des profits. Il ne faut pas oublier qu’un des engagements de François Hollande prévoyait de “dissuader les licenciements boursiers”. Par cette proposition de loi alternative, nous voulons montrer que nombre d’entreprises qui mettent en œuvre des plans de suppressions de postes et des licenciements n’ont aucune difficulté financière au niveau des groupes. Ce texte sera porté par les parlementaires du Front de gauche à l’Assemblée nationale, y compris sous la forme d’un amendement dans le projet de loi de transposition de l’ANI. Les entreprises du secteur industriel ferment alors qu’on a besoin de ce qu’elles produisent, par exemple de l’acier dans le cas d’Arcelor, de la raffinerie de pétrole pour Petroplus, etc. On voit que chaque fois on a affaire à des entreprises, à l’image des groupes Arkema et Kem One, qui ne font que délocaliser pour engranger plus d’argent. Il faut s’y opposer en permettant aux salariés de reprendre leur entreprise sous forme de coopérative, comme chez Fralib. La puissance publique devrait aussi se montrer volontaire pour acquérir certaines entreprises, par exemple Florange, puisque nous avons besoin d’acier en France. Il faut utiliser ces possibilités de se réapproprier les moyens de production sous la forme de coopératives ou en nationalisant, notamment avec des collectivités locales ou une Région. »

André Chassaigne

député PCF, président du groupe Gauche démocrate et républicaine à l’Assemblée nationale

« Le positionnement des députés du Front de gauche est un rejet global de l’ANI du 11 janvier sur l’emploi. Celui-ci porte un coup terrible au droit des salariés. Le plus grave, parmi les nombreux exemples qu’on pourrait citer, c’est la fragilisation du contrat de travail : les possibilités de refuser la mobilité interne ou la flexibilité seront considérablement réduites. Le droit individuel du salarié sera laminé par des accords collectifs qui pourront être conclus par des organisations ne répondant pas aux intérêts des salariés, ou qui ne seront pas majoritaires dans l’entreprise. Il faut certes rejeter cet ANI transformé en projet de loi dans sa globalité, mais la responsabilité des députés du Front de gauche sera aussi de tout mettre en œuvre pour en réduire les effets particulièrement néfastes. Il ne s’agit pas de s’enfermer dans une tour d’ivoire en disant : “C’est tout ou rien.” Nous souhaitons ouvrir des brèches avec d’autres députés progressistes de la majorité de l’Assemblée, des écologistes, des socialistes et des députés qui siègent au groupe radical, républicain, démocrate et progressiste. Nous voulons créer des majorités pendant les débats pour amoindrir le côté particulièrement négatif de ce texte de loi. Nous profiterons aussi de cette discussion parlementaire pour proposer des solutions alternatives. On va par exemple décliner par amendement notre proposition de loi sur l’interdiction des licenciements boursiers et des suppressions d’emplois abusives. Nous donnerons ainsi à voir ce que pourraient être d’autres orientations politiques de la gauche dans notre pays. Des amendements porteront sur la formation professionnelle tout au long de la vie, pour faire en sorte que le salarié puisse disposer d’un vrai droit à la formation, ce qui est une forme de sécurité sociale et de pérennisation de l’emploi. Les salariés doivent avoir davantage de droits par le biais des comités d’entreprise pour mettre en œuvre des propositions alternatives, alors que le texte de loi limite ce droit en termes de durée. Nous voulons montrer qu’il y a une intelligence collective extraordinaire dans le monde salarié et qu’un texte de loi pour le développement industriel améliore les droits des salariés. Il devrait inscrire leur participation aux orientations stratégiques des entreprises. »

Marie-Noëlle Lienemann

sénatrice socialiste, membre de la commission des Affaires économiques

« Il faut faire évoluer le projet de loi et le rééquilibrer. Il rend les licenciements plus faciles, et les quelques avancées qu’il aurait pu contenir sont très formelles et en rien consolidées : tout cela est extrêmement inquiétant. Les licenciements économiques doivent être redéfinis et les licenciements boursiers interdits. Il faut rendre obligatoire la reprise d’entreprise dans le cas où il existe un repreneur viable, favoriser les reprises coopératives (avec notamment un droit de priorité des salariés) et créer une vraie stratégie de chômage partiel, comme en Allemagne, qui laisse les salariés dans l’entreprise avec une rémunération importante. Cela signifie qu’il faut instaurer des cotisations et une taxation des CDD pour abonder un fonds finançant ce chômage partiel. Les avancées de l’ANI sont très illusoires : le compte individuel de formation est en fait l’actuel droit à la formation (DIF) qui a été ripoliné. Quant à l’accès à la complémentaire santé, s’il s’agit de généraliser les mutuelles, pourquoi ne pas le faire dans le cadre de la Sécurité sociale ? À qui profite le crime ? Quand on regarde la taxation des CDD, on voit qu’elle est moins importante que l’effort qu’on demande au patronat pour l’emploi des jeunes. De plus, 20 milliards d’euros de crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ont été accordés aux entreprises, dont la moitié ne servent absolument pas à la compétitivité internationale. Des amendements ont été déposés pour l’encadrement des licenciements boursiers, mais on ne va pas faire une “contre-loi” en un amendement. Je suis radicalement hostile à cet accord du 11 janvier et je suis contre le projet de loi, qui ne fait que transcrire un accord déséquilibré en faveur du Medef. Je ne le voterai pas, mais cela ne change plus grand-chose : le PS a la majorité à l’Assemblée, et au Sénat il aura les voix de la droite. Le texte risque d’être adopté avec l’UMP. C’est significatif de voir que, sur les questions sociales, on vote avec la droite contre le reste de la gauche. »

Jean-Vincent Placé

sénateur EELV, président du groupe écologiste au Sénat

« Nous sommes opposés au volet concernant la flexibilité, notamment sur la mobilité, les accords de maintien dans l’emploi, la procédure de licenciement pour motif économique. Nous avons préparé près de quatre-vingts amendements pour corriger les déséquilibres. Nous voulons sécuriser les droits individuels des salariés, conforter les institutions représentatives des personnels, faire évoluer le cadre juridique des plans sociaux (PSE) et améliorer les dispositions nouvelles. Le projet de loi de “sécurisation de l’emploi” ne peut être voté en l’état : les sénateurs et députés d’Europe Écologie-Les Verts sont mandatés pour amender fortement le texte, et ces améliorations conditionneront le soutien d’EELV. La motion du conseil fédéral  [des 23 et 24 mars, NDLR] sur le projet de loi de traduction législative de l’ANI du 11 janvier nous incite par exemple à préciser certaines avancées, comme l’extension de la complémentaire santé aux TPE, qui ne sont pas concernées par cette mesure dans le projet de loi. Nous avons déposé des amendements qui fassent en sorte que l’ensemble des salariés soient en situation de bénéficier de cette couverture santé. Sur la représentativité des accords de maintien dans l’emploi, nous voulons faire en sorte que le comité d’entreprise soit mis en place au plus vite quand l’entreprise franchit le seuil de 50 salariés, alors que, dans le texte, l’employeur n’a pas l’obligation de transmettre les informations à fournir au comité d’entreprise dans la première année de franchissement du seuil. Nous voulons encadrer plus strictement la mobilité. Il faut notamment prévoir une procédure de licenciement économique collectif quand plusieurs salariés sont licenciés pour refus de mobilité interne. Elle ne pourra déroger à l’obligation générale de reclassement et d’adaptation des salariés. Il s’agit aussi de rétablir le contrôle du juge pour les motifs de licenciement, c’est important pour ne pas être en contradiction avec la convention de l’Organisation internationale du travail. Nous souhaitons la sécurisation du temps partiel et faire en sorte que la rémunération des heures complémentaires et supplémentaires soit identique. La consigne est très claire : s’il n’y a pas d’amendements significatifs retenus, qui sont indiqués dans la motion, nous n’approuverons pas le projet de loi. »

Temps de lecture : 9 minutes