« Dijsselbourde » et la clique de Bercy

Thomas Coutrot  • 4 avril 2013 abonné·es

Jeroen Dijsselbloem est le ministre néerlandais de l’Économie. Il est aussi président de l’Eurogroupe, où il a succédé au célèbre Jean-Claude Juncker. Lundi 24 mars, les déclarations de M. Dijsselbloem ont suscité un tollé, scandalisant les dirigeants européens, inquiétant les marchés et provoquant même un fort recul des bourses européennes. Heureusement, Benoît Cœuré, haut fonctionnaire de Bercy et actuel membre du directoire de la BCE, a remis « Djisselbourde » à sa place : « Il a eu tort de dire ce qu’il a dit. » Qu’avait donc dit d’aussi absurde ce pauvre Dijsselbloem, promu « roi de la gaffe » par toute la presse internationale ? Dans une longue interview au Financial Times, il expliquait pourquoi la crise chypriote inaugurait un nouveau mode de traitement des crises bancaires en Europe. Selon lui, si des banques se retrouvent en difficulté, les pouvoirs publics leur diront désormais : «   Si vous prenez des risques, vous devez les assumer. » Les actionnaires, les créanciers et les gros déposants devront payer les pots cassés. Ce n’est qu’après avoir rincé ces acteurs que les États pourront envisager de mettre la main à la pâte, si nécessaire, pour éviter une contagion à tout le système.

Ce langage de bon sens répond à l’indignation généralisée en Europe face aux sauvetages des banques par l’argent public. Mais il n’a évidemment pas plu aux financiers et à leurs amis. Rappelons qu’en Irlande la BCE et la Commission européenne avaient imposé au gouvernement de transférer sur le dos des contribuables l’ensemble des pertes des banques irlandaises, épargnant ainsi d’autres banques européennes.

Pourquoi la troïka n’a-t-elle pas fait payer les contribuables à Chypre aussi ? L’Irlande n’avait qu’une très faible dette publique (25 % du PIB) avant la faillite de ses banques. La socialisation des pertes a propulsé la dette irlandaise à 80 % du PIB, ce qui est beaucoup mais encore gérable. Mais ce n’est pas le cas de Chypre. Si on avait procédé comme en Irlande, la dette publique chypriote serait passée de 87 % à 150 % du PIB, un montant explosif et ingérable. Il fallait ainsi trouver de l’argent ailleurs. La troïka a donc exigé que les déposants et les créanciers des banques chypriotes apportent 6 milliards d’euros au plan de sauvetage avant de débloquer les 10 milliards de sa propre contribution. La mise en exergue des « oligarques russes » a pu servir un moment pour justifier « l’exceptionnalité » du plan chypriote. Mais cela n’a pas rassuré la finance. Aussi, quand Benoît Cœuré dément les propos de Dijsselbloem, il dit en fait aux actionnaires et aux créanciers des banques : « Ne vous inquiétez pas, nous ne vous embêterons plus. Plus jamais Chypre ! »

Des âmes charitables diront qu’il a seulement voulu éviter une panique sur les marchés financiers. Tout indique au contraire que la clique de Bercy, plus extrémiste encore que les autorités allemandes, pense vraiment pouvoir continuer à faire payer par les citoyens toutes les frasques des banques grâce à des plans d’austérité de plus en plus brutaux. Le rôle de Bercy dans la grotesque non-réforme bancaire, votée en mars par le Parlement français, l’atteste suffisamment.

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