La filiation des Copé-Buisson

Derrière une fausse spontanéité, et dans le sillage d’une porte-parole déjantée, les manifs anti-mariage pour tous dessinent une recomposition de la droite autour de son axe le plus radical.

Denis Sieffert  • 25 avril 2013 abonné·es

Et si Virginie Tellenne, alias Frigide Barjot, était l’idiote utile de la stratégie de la droite ? Et particulièrement de cette aile très sarkozyste qu’incarne le conseiller de l’ex-président, Patrick Buisson ? Il apparaît en tout cas que le collectif La Manif pour tous est un peu comme une valise de contrebandier : à double et même à triple fond. Car tout est faux dans cette histoire. À commencer par la prétendue spontanéité et le côté bon enfant du mouvement. Dimanche, Virginie Tellenne parlait « d’escadrons » chargés de remettre dans le droit chemin les groupes radicaux qui noyautent les cortèges. Oui, mais… Deux jours avant la manifestation du 24 mars, les têtes de pont du collectif avaient reçu un courriel qui ne tenait pas vraiment le même discours. Portant la griffe mystérieuse d’un « élu de la République » et d’un « ancien officier de l’armée », le message délivrait des consignes comme celle-ci : « Face à un barrage de CRS interdisant l’accès aux Champs, se tenir à courte distance en contre-barrage serré, sans provocation. Cela les fixera à un point et permettra de mieux les contourner dans les rues poreuses du quartier ». Ainsi, concluaient les auteurs, « les forces de l’ordre seront prises en étau ». Quelques jours plus tard, les relais locaux du mouvement recevaient un texto leur enjoignant de téléphoner aux préfectures de police « pour déposer une déclaration de manifestation en  [leur] nom dans  [leur] rue pour un jour de la semaine prochaine ». Avant de conclure par ces mots inédits dans l’histoire des manifestations de rue : « Cette manifestation est organisée sous votre responsabilité et n’est pas cautionnée ou organisée par LMPT  [La Manif pour tous]  ». Pas besoin d’être expert en psychologie collective pour comprendre le potentiel de violence que peut contenir un tel message. Un « risque » que les auteurs de cette incitation ne pouvaient ignorer.

Dans cette entreprise de dissimulation, le personnage de Virginie Tellenne est évidemment central. À la fois « Perfide Dévot » et « Liquide Facho », comme l’a surnommée François Morel dans une chronique hilarante sur France Inter [^2], Mme Tellenne ne vient pas de nulle part. Fille d’un ami personnel de Jean-Marie Le Pen, épouse du sulfureux Bruno Tellenne, alias Basile de Koch, qui suivit Bruno Mégret dans sa tentative de création d’un mouvement dissident du Front national, elle est une fervente admiratrice de Benoît XVI, qu’elle a soutenu dans tous ses combats les plus réactionnaires. Son personnage est révélateur d’un mouvement qui, en permanence, avance masqué. Derrière le look branchouille de fausse innocence déjantée, se cache un rigorisme catho prêt à toutes les régressions sociales. Virginie Tellenne peut aussi bien s’encanailler dans une vidéo qui doit choquer ses amies bigotes de la paroisse Saint-Léon, qu’elle fréquente, dit-on, assidûment (« Fais moi l’amour avec deux doigts, avec trois ça rentre pas, avec un ça le fait pas ») que promettre : « Hollande veut du sang, il en aura ! » Avant de regretter ces propos.

Transport, logistique et musique, les « manifs pour tous » coûtent cher. Celle du 13 janvier aurait coûté pas loin d’un million d’euros. Les organisateurs l’affirment en chœur : tout cela est financé avec les dons de particuliers… auxquels Jean-François Copé a incité les militants de l’UMP. Mais si la Manif pour tous manque de mécènes, elle peut compter sur les associations catholiques qui mettent la main à la poche. Alliance Vita a ainsi signé plusieurs chèques. Familles de France et la Confédération des Associations familiales catholiques, en plus de fournir le gros des troupes par cars spécialement affrétés, ont admis la possibilité de « boucler le budget » avec leurs propres deniers, selon le site Yagg. Et, contrairement à la Manif pour tous, les pieuses associations, reconnues d’utilité publique, peuvent offrir une réduction fiscale à leurs bonnes âmes.
Tout le mouvement est en quelque sorte à son image. Ambigu. Faussement soixante-huitard, singeant les manifs de gauche, mais encadré en réalité par la droite la plus dure et instrumentalisé par la droite parlementaire. Dans la rue, les lourds bataillons sont assurés depuis le début par l’Église, directement mobilisés par l’archevêque de Paris, André Vingt-Trois et le cardinal Philippe Barbarin. Ce dernier, on s’en souvient, s’était d’ailleurs illustré en lançant une diatribe homophobe : « Après, ils vont vouloir faire des couples à trois ou à quatre. Un jour, peut-être, l’interdiction de l’inceste tombera. » Ce qui frappe dans cette nébuleuse, c’est l’osmose entre tous les courants. À côté de l’Église vaticane on trouve l’extrême droite catholique, incarnée par une autre égérie, une certaine Béatrice Bourges, au look nettement plus austère que sa collègue. Là aussi, il y a manipulation. On découvre par exemple que l’appellation « le Printemps français », présentée comme une trouvaille géniale du peuple de droite désireux de se référer aux Printemps arabes, avait en fait été déposée auprès de l’Institut national de la propriété intellectuelle par ladite Béatrice Bourges dès le 26 février. Soit un mois avant l’apparition « spontanée » du mouvement.

Dans cette mouvance, on trouve les Jeunesses identitaires et les étudiants d’extrême droite du GUD, ainsi que le mouvement intégriste Civitas. La très b.c.-b.g. Béatrice Bourges a fortement contribué à intégrer aux défilés les courants les plus radicaux. « Les gens sont très en colère », assure la dame pour justifier les débordements. Il faut ajouter à ce maelström une kyrielle d’associations fantômes créées à la hâte et qui, pour la plupart, n’ont aucune réalité [^3]. On trouve par exemple dans ce long cortège une association dénommée Les Musulmans pour l’enfance, fondée par un certain Abderrahmane Ait-Rabah, réputé proche de l’UMP. Et une autre baptisée Fils de France, animée par un certain Camel Bechikh, membre de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) et proche du Front national. Ou encore un mouvement « féministe » : Le Nouveau Féminisme européen. Comme s’il s’agissait d’inventer une société civile factice.

La référence implicite à Mai 68 est tellement apparente que l’on ne peut s’empêcher de penser au discours de Nicolas Sarkozy, porte de Versailles, en janvier 2007. Ce sont à la fois les mêmes thèmes, inspirés par Patrick Buisson, la même bataille sur les valeurs et le même rêve d’unification autour d’un centre de gravité situé à la droite extrême de l’UMP. Faute d’avoir réussi à intégrer politiquement le FN dans une nouvelle coalition, les ex-stratèges élyséens l’attireraient dans leurs filets par la pression de la rue. Sans adhérer à l’idée du complot, on peut s’interroger sur un certain effet d’aubaine, ou à tout le moins un certain opportunisme. MM. Copé et Buisson ne sont-ils pas les hommes de cette stratégie-là, récupérant une mobilisation dans laquelle s’amalgament la France catholique profonde et traditionnelle et les organisations les plus radicales, qui semblent être là pour entretenir, jusqu’à un certain point, un climat de violence dans le pays ? Au total, un mélange inquiétant de fanatisme, de conservatisme, de fascisme et de cynisme.

[^2]: Chronique de François Morel sur France Inter, le 19 avril.

[^3]: Lire à ce sujet l’excellente enquête de Samuel Laurent dans Le Monde.fr « Derrière la grande illusion de la Manif pour tous ».

Publié dans le dossier
L'inquiétante dérive de la droite
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