La métaphysique politique de Pasolini

Jean Duflot met la « vitalité désespérée » du cinéaste à l’épreuve du chaos contemporain.

Orianne Hidalgo  • 25 avril 2013 abonné·es

Pasolini, le « réalisateur lubrique », « l’écrivain immoral », « l’intellectuel ténébreux » … Le scandale, s’il a popularisé le cinéaste, a aplani la portée de son œuvre. Les cercles universitaires, s’ils l’ont institutionnalisé, en ont fait une figure élitiste et hermétique. Le Pasolini du journaliste Jean Duflot réincarne pleinement un homme caractérisé par l’engagement politique et poétique. Aux côtés des classes populaires, revendiquant son homosexualité face à la censure bourgeoise, l’auteur des Écrits corsaires dénonce la «   mutation anthropologique de l’Italie ». Sur les ruines du régime mussolinien pullule un fascisme consumériste totalitaire et totalisant. Pasolini peine à maintenir vivantes ses espérances marxistes et sociales, qui laissent place à l’utopie poétique, où «   le passé devient la métaphore du présent ».

Dans Pasolini mort ou vif, Jean Duflot nous dévoile «   l’immensité potentielle d’ [une] œuvre » capable d’élargir «   l’imaginaire et la réflexion des générations actuelles et à venir ». De la précarité des faubourgs romains à la réalité d’une société italienne corrompue par un capitalisme outrancier, du premier long métrage, Accattone, au roman posthume et inachevé, Pétrole, les territoires pasoliniens multiplient les trajectoires vers un espace plus large que celui d’une esthétique singulière, aux confins d’une métaphysique politique. «   C’est la crise des grandes idéologies, des grandes espérances.   » Cette réplique du corbeau philosophe dans Des oiseaux petits et grands ne résonne-t-elle pas aujourd’hui encore ? Trente-sept ans après la mort du poète, Jean Duflot arrache au silence la fureur contestataire et anticonformiste de Pétrole, de l’Expérience hérétique ou des Lettres luthériennes. Politique néocapitaliste, instrumentalisation marchande du corps, standardisation des comportements, moralisation de la sexualité, hédonisme de masse… Les « maladies politiques » dont témoigne Pasolini continuent de contaminer nos sociétés. Des magnats de la finance gouvernent sous couvert de démocratie pendant que les industries éditoriales et audiovisuelles vendent des comportements de masse sous couvert de l’individualité. «   L’entreprise d’acculturation génocidaire » annoncée par Pier Paolo Pasolini est en marche. «   Pasolini a établi dans sa patrie le record mondial des poursuites pour obscénité et outrage aux bonnes mœurs. » Ce constat du journaliste laisse perplexe : les institutions seraient plus concernées par la prétendue immoralité des arts que par l’indécence de leurs représentants politiques. Si Pasolini est « prophète en nos pays », se pourrait-il que la ville de Salò préfigure Bruxelles ?

Culture
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