La Meute

Sébastien Fontenelle  • 11 avril 2013 abonné·es

Après que Jean-Luc Mélenchon a constaté la semaine dernière (le moyen de faire autrement), avant de suggérer que nous ouvrions un peu la fenêtre pour nous laver l’atmosphère, que notre fond de l’air sentait fort ces temps-ci l’ offshore – et qu’il draînait aussi d’incommodants relents de prévarication(s) –, le quotidien nicolademor(hi-h)andiste Libération (le QN L ), qui n’a certes pas peu contribué, depuis trente longues années, à la vulgarisation des dogmes qui ont facilité ce pourrissement capitaliste, a publié ce gros titre où se concentraient justement trois décennies d’extrême dignité : « Mélenchon pour la “purification” éthique ».

Comme t’auras compris, cette dernière locution n’est pas exactement neutre : il s’agit, en vérité, d’une allusion très directe à ce qu’il est convenu d’appeler la « purification ethnique », telle que l’ont notamment pratiquée, dans la toute fin des années 1990, quelques chefs d’État ex-yougoslaves – dans une compétition où la presse comme il faut avait tôt choisi de considérer que M. Franjo Tudjman, par exemple (qui présidait à l’époque au devenir de la Croatie), était, nonobstant les brutalités de sa soldatesque, quelqu’un de plus fréquentable que M. Slobodan Milosevic (son homologue serbe de l’époque, dont le taux de délicatesse n’était guère plus élevé), qui fut alors présenté, lui, comme un tardif nazi. Le résultat, vingt ans plus tard, est que l’élégant titre du QN L (où se mesure le respect que ce journal porte à la mémoire des victimes de ces guerres balkaniques) fait que son lectorat, le découvrant, ne peut pas ne pas se dire que Jean-Luc Mélenchon (JLM) a quelque chose en lui de Slobodan Milosevic – et de ses dispositions hitlériennes. Et de vrai : l’outrance de ce propos (et de la vilenie qui le sous-tend), qui prétend pointer (sans craindre, donc, le paradoxe) un excessif « durcissement » du « discours » politique de JLM, ne serait que risible si elle ne s’inscrivait pas dans le plus vaste cadre d’une offensive médiatique de (beaucoup) plus grande ampleur, où le boss du Parti de gauche, parce qu’il tient la ligne d’une offensive un peu dure contre les thuriféraires du libéralisme ultra et leurs sous-lieutenants médiatiques, est systématiquement amalgamé aux « populistes » de l’extrême droite.

Ainsi – et pour ne citer que deux exemples parmi tellement d’autres de ces pudentes [^2] pratiques –, dans le même temps que le QN L lâchait sur lui l’élégant titre qu’on a dit, Jacques Julliard, éditocrate de garde chez Marianne, répétait, obsessif, sa fustigation de ce qu’il appelle sans rire la « confusion de l’extrême droite et de l’extrême gauche » – et sa désolation de voir Mélenchon « descendre » toujours plus bas. Et le Nouvel Observateur – dont les archives feront en 3150 un formidable corpus pour les sciences cognitives du XXXIIe siècle – osait de son côté un exquis : « Le Pen et Mélenchon, croisés de “l’Alsace française”. » Car ces gens-là, toujours, chassent en meute : cela présente l’avantage que, pris dans le vent de leur course et le vacarme de leurs aboiements, ils peuvent très facilement se dispenser de penser. 

[^2]: Si, si : pudentes.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

Temps de lecture : 3 minutes