Pensons « positif »

Au point où nous en sommes, ce sont les mânes de Roosevelt que l’on invoque à gauche du PS. C’est à Keynes que l’on crie : « Reviens, ils sont devenus fous ! »

Denis Sieffert  • 25 avril 2013 abonné·es

C’est une réunion confidentielle qui s’est tenue dimanche dernier à la Mutualité, temple déchu de la grande histoire du mouvement ouvrier. Confidentielle, peut-être, mais qui nous intéresse, comme tout ce qui bouge à gauche. Il y avait là des Verts, dont la ministre du Logement, Cécile Duflot, et le secrétaire national, Pascal Durand, des socialistes de gauche (par les temps qui courent, c’est loin d’être un pléonasme !), comme Marie-Noëlle Lienemann, et Christiane Taubira, notre radicale ministre de la Justice. À l’ordre du jour, « un nouveau pacte majoritaire » et même « un nouveau Front populaire qui ferait voter d’emblée – c’est Marie-Noëlle Lienemann qui parle – quatre ou cinq grandes lois pour permettre une nouvelle dynamique ». Formidable !

Un gros bémol toutefois : le Front de gauche n’était pas de la partie. Les puristes auront même relevé l’inutile pique de Cécile Duflot à Mélenchon ( « la course à la colère risque d’être une course à l’abîme » ). Il ne nous appartient pas d’interpréter cette absence, ni de désigner des coupables. Ce que nous savons, c’est qu’il est difficile de vouloir fédérer une gauche sociale et écologique sans Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent. Et impossible d’ignorer la manifestation du 5 mai dont ils ont pris l’initiative. On peut reprocher à Mélenchon sa verve et sa fièvre, mais la gauche a besoin de son énergie et de la capacité de mobilisation du Front de gauche. Autre curiosité (mais ceci explique peut-être cela) : cette obstination à vouloir attirer dans ce processus les centristes du MoDem. Ce n’est pas que M. Bayrou soit humainement infréquentable, mais il représente quasi religieusement cette orthodoxie budgétaire, et cette austérité, que précisément les conjurés de la Mutualité prétendent combattre. Cherchez l’erreur ! Mais pensons « positif », comme on dit chez Google, et retenons de ce rendez-vous une louable volonté de secouer le cocotier. La gauche du PS est d’ailleurs allée plus loin en présentant lundi un « plan de relance écologique et social pour la France et pour l’Europe » qui constitue un véritable réquisitoire contre la politique du gouvernement (voir l’article de Thierry Brun, p. 7).

On y retrouve notamment l’idée d’une grande réforme fiscale, promise par le candidat Hollande, mais oubliée par son homonyme président de la République. Une loi qui aurait trois vertus : recréer de la justice sociale, remplir les caisses de l’État, et rendre le moral au « peuple de gauche » passablement déprimé après une année de gouvernement Ayrault. Faute d’entendre la rumeur qui monte de son propre parti, François Hollande devrait au moins écouter les critiques qui viennent d’horizons plus inattendus. Du secrétaire d’État américain au Trésor, Jack Lew, par exemple, qui préconise une politique européenne « plus équilibrée ». Du gouvernement néerlandais aussi, attelage de libéraux et de Travaillistes, qui vient de renoncer à mettre en œuvre le plan d’économie exigée par Bruxelles et par l’Allemagne. Il n’y aura pas aux Pays-Bas, du moins dans l’immédiat, de gel des salaires, ni de coupes claires dans les dépenses publiques. Avec un chômage qui est passé de 6 % à 8,1 % en quelques mois, des faillites qui se multiplient, et un pays plongé dans la récession, le gouvernement a décidé une pause dans sa politique d’austérité. Le Premier ministre, Mark Rutte, n’est pourtant pas un gauchiste. Il vient d’imposer un plan dit de flexibilité qui facilite les licenciements et ressemble à s’y méprendre à notre ANI. Le problème, c’est qu’en France nous avons tout à la fois le plan de flexibilité et l’austérité. La double peine en quelque sorte !

Mais ce n’est pas tout. Même le G20 Finance s’en mêle. Le communiqué publié le 19 avril accorde un satisfecit aux États-Unis, lesquels refusent tout objectif chiffré de réduction des déficits. À l’exact opposé de la politique française. Certes, avec le G20, comme avec le gouvernement néerlandais, on est loin d’une politique de gauche. Tout juste une vision éclairée d’un système qui court à sa propre perte. Telles sont aujourd’hui nos références. Cela fait un certain temps, il est vrai, que plus personne n’appelle Lénine à la rescousse. Au point où nous en sommes, ce sont les mânes de Roosevelt que l’on invoque à gauche du PS. C’est à John Maynard Keynes que l’on crie : « Reviens, ils sont devenus fous ! » Hélas, face à l’évidence de la crise, et devant toutes les critiques, François Hollande s’autorise tout juste une petite « tension amicale » avec Angela Merkel. Quelle audace ! Résultat : après bientôt un an à l’Élysée, le Président de gauche est à 25 % dans les sondages ; le pays compte cinq millions de chômeurs ; la récession est là, lourde de nouveaux drames humains ; personne, même pas le FMI, ne croit plus aux prévisions du gouvernement ; et pour compléter le tableau, une droite haineuse occupe la rue. Qu’à cela ne tienne, le slogan dans les allées du pouvoir est : « Surtout, ne changeons rien ! »

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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