Bangladesh : « Il s’agit d’homicides »

Sanjiv Pandita analyse les responsabilités dans la tragédie du textile et envisage les conditions d’une amélioration.

Céline Loriou  • 30 mai 2013 abonné·es

L’Asia Monitor Resource Centre est une ONG qui défend les travailleurs asiatiques et dont le siège se situe à Hong-Kong. Revenant sur la catastrophe de Dacca, qui a coûté la vie à 1 127 travailleurs de l’industrie textile, Sanjiv Pandita, explique pourquoi il faut repenser nos modes de production.

Qui est responsable du drame de Dacca ?

Sanjiv Pandita : Le premier responsable est le gouvernement bangladais, car il n’a pas fait appliquer les lois pour protéger ses citoyens. Le deuxième est l’Association bangladaise des fabricants et exportateurs de textile (BGMEA), qui a ignoré la dangerosité de l’immeuble. C’est un des lobbies les plus puissants du pays parce que certains hommes politiques viennent de l’industrie textile. Les derniers responsables sont les marques qui cherchent les fournisseurs les moins chers, sans vérifier la sécurité des ateliers.

**La corruption a-t-elle aussi sa part de responsabilité? **

La corruption est une notion vague. Au Cambodge, les inspecteurs chargés d’auditer les ateliers sont payés 25 dollars par mois, c’est-à-dire moins que les employés qui y travaillent. S’agit-il vraiment de corruption lorsque ces gens ont à peine de quoi nourrir leur famille ? En revanche, la corruption dans les sphères supérieures est un vrai problème : certains ministres passent des accords avec les entreprises afin qu’elles ne soient pas tenues responsables en cas d’incident.

L’effondrement du Rana Plaza serait-il l’arbre qui cache la forêt ?

En ce moment, on parle beaucoup du Bangladesh et du Pakistan à cause de l’ampleur des accidents qui y ont eu lieu. Mais des travailleurs du textile meurent chaque jour en Asie sans qu’on en parle dans les médias. Les conditions de travail sont les mêmes depuis trente ans : les journées sont très longues, les employés sous-payés, ils travaillent dans des ateliers bondés et développent des maladies à force de rester dans la même position. Forcément, on ne pense pas à l’ergonomie puisqu’on en est toujours à parler de sécurité incendie ! De plus, les travailleurs ne s’alimentent pas correctement car ils envoient beaucoup d’argent à leur famille restée dans les campagnes. Les femmes font des fausses couches ou n’ont plus leurs règles normalement à force de rester assises et de travailler dans la chaleur des générateurs électriques.

Que pensez-vous de l’accord de sécurité signé par 31 marques stipulant qu’elles n’emploieront pas de fabricants au Bangladesh s’ils ne respectent pas les normes de sécurité ?

Cet accord est une première étape. À court terme, il faut mettre en place des mesures de sécurité dans les ateliers afin que les employés puissent toujours évacuer les lieux. Mais il faut aussi s’assurer que le gouvernement les fera appliquer correctement. Les inspecteurs sont actuellement engagés par les entreprises qu’ils doivent auditer. Il faudrait donc créer une institution transparente et participative, responsable devant le Parlement et le peuple. De plus, la communauté internationale devrait tenir les marques pour responsables. Nous ne pouvons pas parler de simple accident lorsque des centaines d’employés meurent dans un incendie parce qu’il n’y pas assez d’issues de secours et que les fenêtres sont bloquées. Ni lorsqu’un immeuble de neuf étages s’effondre alors que le permis de construire n’en prévoyait que cinq. Il s’agit d’homicides volontaires et tout le monde a du sang sur les mains : les marques, le gouvernement, les fabricants.

Les consommateurs sont-ils aussi responsables ?

Parmi ces consommateurs, se trouvent des travailleurs qui gagnent peu d’argent : ce ne serait pas juste de les culpabiliser car ils ont, eux aussi, une vie difficile. Cependant, les consommateurs ont un certain pouvoir de pression sur les marques et ils pourraient les encourager à changer leurs modes de production. Mais il ne faut pas pour autant arrêter d’acheter des produits réalisés au Bangladesh : les employés ont besoin de ce travail pour survivre.

**Comment améliorer les conditions de travail des employés du textile en Asie ? **

Tout d’abord, il faudrait garantir aux travailleurs la possibilité de se syndiquer pour faire valoir leurs droits. Dans ces pays, la liberté d’association est très limitée. C’est aussi le moment de remettre en question nos modes de production. Le système des supply chains  [^2] a un impact désastreux tant sur les humains que sur la planète. Il bénéficie aux dirigeants de marques, comme l’Espagnol Amancio Ortega, fondateur de Zara et d’Inditex, troisième fortune mondiale. Mais, à part lui, qui est satisfait de ce système ? Pas les Espagnols, qui n’entendent parler que de chômage et d’austérité, pas les Bangladais, qui payent de leur personne la fortune d’Ortega. Se poser ce genre de question permet de comprendre que tout est lié.

[^2]: Pilotage global de la chaîne d’approvisionnement.

Monde
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

« Au Soudan, il faudra bien, tôt ou tard, imposer un cessez-le-feu »
Entretien 7 novembre 2025 abonné·es

« Au Soudan, il faudra bien, tôt ou tard, imposer un cessez-le-feu »

Clément Deshayes, anthropologue et chercheur de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et spécialiste du Soudan, revient sur l’effondrement d’un pays abandonné par la communauté internationale.
Par William Jean et Maxime Sirvins
Comment la guerre au Soudan révèle les failles du contrôle mondial des armes
Soudan 7 novembre 2025 abonné·es

Comment la guerre au Soudan révèle les failles du contrôle mondial des armes

Les massacres commis à El-Fasher illustrent une guerre hautement technologique au Soudan. Derrière le cliché des pick-up dans le désert, une chaîne d’approvisionnement relie Abou Dabi, Pékin, Téhéran, Ankara et même l’Europe pour entretenir l’un des conflits les plus meurtriers de la planète.

Par William Jean et Maxime Sirvins
« Un espoir s’est levé avec la victoire de Mamdani à New York »
La Midinale 5 novembre 2025

« Un espoir s’est levé avec la victoire de Mamdani à New York »

Après la victoire du candidat socialiste dans la capitale économique du pays dirigé par Donald Trump, Tristan Cabello, historien spécialiste des Etats-Unis, est l’invité de « La Midinale ».
Par Pablo Pillaud-Vivien
À New York : « J’ai voté pour la première fois aux élections municipales et c’était pour Mamdani »
Reportage 5 novembre 2025 abonné·es

À New York : « J’ai voté pour la première fois aux élections municipales et c’était pour Mamdani »

Le candidat démocrate Zohran Mamdani, inconnu il y a un an, a été élu maire de la plus grande ville des États-Unis, grâce à une forte participation et à une campagne fondée sur les problématiques sociales.
Par Sarah Laurent