Italie : Le divo s’est couché

La disparition de Giulio Andreotti, qui incarna le système démocrate-chrétien pendant un demi-siècle, marque la fin d’une époque.

Olivier Doubre  • 16 mai 2013 abonné·es

Membre pour la première fois d’un gouvernement en 1947, ministre de façon ininterrompue jusqu’en 1992, sept fois président du Conseil (totalisant 2 226 jours !), Giulio Andreotti, disparu le 6 mai, fut pendant quarante-cinq ans l’un des personnages clés de ce que l’on appelle en Italie la « Première République ». C’est-à-dire le système politique entièrement dirigé depuis l’après-guerre par la Démocratie chrétienne (DC). Une DC à laquelle il adhéra après avoir connu quelques futurs papes, cardinaux ou évêques, mais aussi de nombreux hommes d’État, à la Fédération universitaire catholique italienne (Fuci), creuset d’une partie de l’establishment démocrate-chrétien.

Andreotti incarna à lui seul le « système DC » avec tous ses mystères, ses coups tordus, ses liens avec la mafia, le Vatican ou les pouvoirs occultes de toute sorte, telle la loge maçonnique P2, connue pour son rôle dans la manipulation, avec les services secrets et la CIA, des groupes d’extrême droite qui ensanglanteront l’Italie par des attentats aveugles, censés faire croître au sein de la population une demande sécuritaire et donc un gouvernement réactionnaire. Mais Andreotti ne fut pas seulement un cynique, il fut aussi l’une des intelligences politiques les plus fines de la seconde moitié du XXe siècle. Ministre des Affaires étrangères durant les années 1980 (avant de redevenir président du Conseil en 1989), il conduisit une politique d’ouverture en direction du Moyen-Orient et surprit même par sa volonté de dialogue avec l’URSS. Son courant au sein de la DC, surtout implanté en Sicile et dans la région de Rome, représentait pourtant l’aile droite du parti, avec pour fonction depuis 1945 de maintenir l’Italie, qui comptait le plus grand PC à l’Ouest, dans le bloc occidental, sous le bouclier de l’Otan. Fin diplomate, il avait un goût du secret qui le faisait craindre de tous ses ennemis mais aussi de ses amis politiques, qui avaient connaissance de ses kilomètres d’archives, de fiches et de dossiers sur tous les dirigeants politiques et économiques du pays, amassés durant des décennies et soigneusement classés.

En 1992, à la suite des enquêtes « Mains propres » du pôle financier de Milan sur la corruption de la classe politique transalpine, la levée de l’immunité parlementaire d’Andreotti sonna le chant du cygne de la Première République. Il fut néanmoins nommé sénateur à vie (la Constitution donne le pouvoir au chef de l’État d’en désigner onze) et ne fut que peu inquiété par les magistrats. Faute de preuves. Ou bien, comme dans le procès sur les liens entre mafia sicilienne et pouvoir romain, grâce à la prescription des faits. Depuis, Andreotti n’a cessé de siéger au Sénat, tout en se tenant à l’écart de l’exécutif, apportant un soutien critique à un autre ancien de la DC, Romano Prodi, président du Conseil de centre-gauche, et refusant de se lier à l’entourage d’un Berlusconi trop éloigné de sa culture chrétienne. Il fut le sujet du film Il Divo, de Paolo Sorrentino, primé à Cannes en 2008, rare exemple d’une fiction consacrée à un homme politique italien de son vivant. On l’y voyait conforme à ce que l’un des plus grands journalistes italiens, Indro Montanelli, avait écrit de lui, en le comparant au grand dirigeant DC de l’après-guerre, Alcide De Gasperi : « Quand ils vont à l’église, De Gasperi parle avec Dieu, Andreotti avec le prêtre. » Pour tout savoir de ses ouailles. Une sorte de programme politique.

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