La dignité chevillée au corps

Au lieu d’obéir aux patrons qui leur proposent gentiment de les délocaliser, ils se suicident, ces fats.

Sébastien Fontenelle  • 30 mai 2013 abonné·es

Depuis trente ans, les pouvoirs publics (surtout s’ils sont dans les mains des « socialistes ») dérégulent le secteur du même nom et les services y afférents – à grands coups, principalement, de privatisations plus ou moins assumées. Cette pratique a pour effet, notamment, que, durant que leurs dirigeants s’épaississent l’épargne [^2], les salarié(e)s des organismes touchés par cette « modernisation » – comme dirait Lionel Jospin –, soumis aux règles d’airain d’un management par le stress tout entier tourné vers la quête effrénée du profit, sont toujours plus nombreux à se tuer, pour échapper à ce cauchemar néolibéral.

Rien n’est plus révélateur, à cet égard, que la vague de suicides qui a récemment frappé l’Office national des forêts (ONF), après que les chefs de cette vénérable institution – et leurs autorités étatiques de tutelle – ont décidé qu’elle devait devenir plus rentable. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, cette imposition des lois du marché, au sein d’une structure que sa publicité protégeait a priori contre cette « libéralisation », a immédiatement produit les mêmes résultats qu’à France Télécom ou qu’à La Poste (liste non exhaustive) : plusieurs de ses agents se sont donné la mort, en l’espace de quelques mois – et tout ça, n’est-ce pas, commence à faire beaucoup de tragédies horribles. Mais qu’en pense le quotidien Libération  ?

Le quotidien Libération, où la décence se porte en sautoir, en pense – c’était du moins la teneur d’une chronique produite par une «   philosophe   » et publiée la semaine dernière dans ses blanches pages – qu’il ne faudrait tout de même pas que nous nous laissions trop troubler le jugement par l’émotion, et que nous devons regarder les victimes de l’incessante réforme des services publics comme des gros salauds égoïstes, parce qu’en vrai – n’en déplaise à la sociologie gauchiste –, « les rapports de causalité entre le mal au travail et le suicide » ne sont pas du tout « évidents », et, d’ailleurs, « les travailleurs » qui prétendent souffrir ont d’autres issues que de se tuer   : ils « peuvent », par exemple, « changer d’emploi », comme dans un tract du Medef, si vraiment ils sont si malheureux. Mais ils ne le font pas, car ils sont mal éduqués. Et du coup : au lieu d’obéir aux patrons qui leur proposent gentiment de les délocaliser, ils se suicident, ces fats. Aussi faudrait-il désormais les considérer, assure la collaboratrice de Libération, comme des « terroristes », et ne plus jamais parler –   comme le fait trop souvent Politis  – de leurs souffrances, car « un journalisme responsable devrait affirmer : “Nous ne discutons pas avec des terroristes” » poussés à bout par leurs employeurs.

Finalement, je ne souhaite pas commenter cette ignominie –   juste te signaler que son auteure est une certaine Marcela Iacub. La même qui a récemment commis un récit porcin de sa liaison avec DSK –   après avoir craché quelques très infectes vilenies sur Nafissatou Diallo, « payée 6 millions de dollars pour une pipe »  : il y a comme ça des êtres qui ont la dignité chevillée au corps.

[^2]: La courbe, vertigineusement haussière, des salaires versés depuis dix ans aux principaux dirigeants de La Poste est par exemple, à cet égard, très instructive.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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