L’horreur économique*, bis repetita

Les politiques d’austérité actuelles n’ont aucun fondement scientifique.

Dominique Plihon  • 23 mai 2013 abonné·es

Molière a immortalisé le médecin Diafoirus, qui voulait, par ses purges ridicules, guérir son malade imaginaire. En ce début de XXIe siècle, les économistes néolibéraux, doctes champions des politiques d’austérité supposées sortir nos économies de la crise, viennent à leur tour de tomber de leur piédestal à l’occasion de deux épisodes fort instructifs. Le Français Olivier Blanchard, économiste en chef du FMI, nommé par DSK, publie en janvier 2013 un article où il reconnaît que les prévisions du FMI sont fausses car elles ont sous-estimé le « multiplicateur budgétaire [^2] ». Le principe, très keynésien, du multiplicateur établit qu’un euro dépensé ou économisé par un acteur public génère une augmentation ou une perte de revenu pour l’économie nationale qui peut être supérieure ou inférieure, selon la valeur du multiplicateur, au montant de la dépense ou de l’économie publique. Ainsi, dans le cas d’une baisse de la dépense publique d’un euro, un multiplicateur supérieur à 1 entraîne un repli du revenu national supérieur à un euro.

L’un des dogmes néolibéraux est que le « multiplicateur budgétaire » est faible, ce qui a amené les économistes du FMI à lui attribuer une valeur de 0,5. Résultat : le FMI a sous-estimé la baisse de l’activité et l’augmentation du chômage associées aux politiques d’austérité qu’il recommande. Conclusion de Blanchard : sans y renoncer, les gouvernements doivent mettre en œuvre l’austérité… avec discernement !

Deuxième épisode : deux éminents professeurs de Harvard, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, eux-mêmes anciens économistes du FMI, ont publié en 2009 des travaux dont le retentissement fut considérable, fondés sur l’analyse de « huit siècles de folie financière », et qui concluaient qu’au-delà d’un taux d’endettement public de 90 % la croissance des pays se trouvait freinée [^3]. Conséquence : le taux de 90 %, qui vient d’être atteint par la France, a été invoqué en faveur des politiques d’austérité. Or, des économistes de l’université publique du Massachusetts ont montré que ces calculs étaient faux, car fondés sur une mauvaise exploitation d’un tableau Excel et sur une manipulation des données ! En réalité, les données existantes ne permettent pas d’établir un lien significatif entre le niveau d’endettement public et le rythme de croissance d’un pays [^4].

Les conclusions qui se dégagent de cette tragicomédie en deux actes, que l’on pourrait intituler l’Illusion néolibérale  (René Passet, Fayard, 2000), sont limpides : non seulement les politiques d’austérité actuelles n’ont aucun fondement scientifique, mais elles sont également recommandées par des Imposteurs de l’économie  (lire Laurent Mauduit, éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2012) à la solde des intérêts dominants. 

[^2]: « Erreurs de prévision de croissance et multiplicateurs budgétaires », FMI, Working Paper, n° 2013/1.

[^3]: This time is different. Eight centuries of financial follies, Princeton University Press, 2009.

[^4]: Robert Pollin et Michael Ash, « Debt and growth : a response to Reinhart and Rogoff », Amherst University, 29 avril 2013.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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