Libre-échange for ever

Tout sera soumis aux lobbies qui ne supportent plus la démocratie.

Geneviève Azam  • 30 mai 2013 abonné·es

Nicole Bricq, ministre français du Commerce extérieur, a fait un rêve. Construire un « Buy Transatlantic Act », partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI), dont l’accord devrait être bouclé en 2015. Les gains économiques attendus sont de 119,2 milliards de dollars pour l’UE, 0,5 % de croissance supplémentaire et 94,2 milliards pour les États-Unis. Outre la fantaisie de ces calculs, c’est bien maigre, finalement plus maigre qu’une action concertée sur la fraude fiscale ! Mais ce ne sont pas les mêmes poches qui encaissent. Les lobbies industriels sont sur le pont ; ils se regroupent et se relient à l’European Business Summit, à Business Europe, à la Chambre américaine de commerce, au Transatlantic Business Council et au Forum des services européens, pour « aider les gouvernements à la négociation ».

Instruite par le flop retentissant de l’AMI [^2], brouillon timide du projet actuel, dû notamment à une mobilisation du monde de la culture, notre ministre prend les devants en mettant comme condition l’exclusion de la culture et des services audiovisuels. Or, la reconnaissance d’une exception culturelle par le Parlement européen, dont nous pourrions nous réjouir, n’a plus grand sens quand il s’agit d’aligner des normes et dans la mesure où ce Parlement a voté pour l’ouverture des négociations. De même, Nicole Bricq brandit comme « condition » le respect des normes sociales et environnementales. Elle n’est pourtant pas sans savoir que ce partenariat ne porte pas essentiellement sur les contraintes tarifaires et sur le commerce, mais précisément sur la suppression des barrières non tarifaires, des réglementations et des normes qui freinent la concurrence et l’investissement. Sait-elle que l’Union européenne est associée au Japon et aux États-Unis pour contester, à l’OMC, une loi sur la création d’énergies vertes votée en Ontario (province du Canada) en 2009, au motif que des tarifs préférentiels sont consentis aux producteurs qui favorisent le contenu local de la construction d’éoliennes et de panneaux solaires ^3 ? Plus de 30 000 emplois avaient découlé d’une telle loi, considérée désormais par l’OMC comme contrevenant aux règles internationales du libre-échange. Alors que le Canada, loin d’atteindre les maigres objectifs du protocole de Kyoto, voit ses émissions de gaz à effet de serre augmenter. C’est une leçon concrète pour comprendre ce que signifierait ce rêve transatlantique !

Plus qu’un traité commercial, ce partenariat mettrait en place un processus réglementaire continu, visant à créer une procédure dite de coopération sur les normes à un stade précoce, avant même toute réglementation. Il vise tous les secteurs, et toutes les institutions pourront être attaquées devant un tribunal international, soumises aux lobbies qui ne supportent plus la démocratie. À l’heure de la transition écologique, de la guerre énergétique menée par les transnationales, de la relocalisation des activités pour retrouver l’emploi et la durabilité écologique, ce partenariat, réactivé à la faveur de la crise, doit subir le même sort que les ébauches qui l’ont précédé. Le temps est venu d’une mobilisation démocratique très large.

[^2]: Accord multilatéral sur l’investissement, 1997.

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