Namir Abdel Messeeh : « L’Acid a été un tremplin pour moi »

L’auteur de La Vierge, les coptes et moi raconte sa collaboration avec l’association de cinéastes.

Christophe Kantcheff  • 16 mai 2013 abonné·es

Le réjouissant premier long métrage de Namir Abdel Messeeh, la Vierge, les coptes et moi, a fait partie l’an dernier de la programmation à Cannes de l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (Acid). Un an plus tard, le réalisateur explique ici ce que l’Acid a apporté à la jolie carrière de son film [^2], au moment où l’association lance une pétition et publie un texte dans le Monde. Une tribune, intitulée « Ne laissons pas la loi du plus fort priver d’écrans le cinéma indépendant   [^3] », et qui n’est autre qu’un appel à la préservation de la diversité culturelle « contre l’abus de position dominante des grands circuits d’exploitation et la saturation du marché par les gros distributeurs ».

Comment êtes-vous entré en contact avec l’Acid ?

Namir Abdel Messeeh : Mon premier contact a eu lieu lorsque mon film a été retenu pour la programmation de Cannes. J’étais dans un cas assez fréquent : le film avait déjà été montré dans un festival international. Il n’avait donc aucune chance de faire partie d’une autre sélection de Cannes, l’officielle, la Quinzaine ou la Semaine de la critique. Par ailleurs, il n’avait pas de distributeur. J’ai eu cette chance d’être présenté à Cannes par l’Acid. Et là, le film a été vu directement par de nombreux exploitants, ce qui est chose rare. L’accueil a été très bon. Et les propositions de distributeurs ont aussitôt suivi. Ce premier contact avec l’Acid a donc représenté pour moi un vrai tremplin. Sur les 9 films Acid présents à Cannes l’an dernier comme chaque année, 6 ou 7 n’avaient pas de distributeurs. Ils en ont tous trouvé un depuis. Le distributeur pour lequel j’ai opté, Sophie Dulac, a fait en sorte que le film ait la meilleure exposition possible. Du coup, la Vierge… a fait 60 000 entrées. Ce qui pour un premier film, d’un genre atypique, mêlant la fiction et le documentaire, avec 25 copies, c’est-à-dire une sortie très modeste, est un beau résultat. Le fait qu’un film marche ou pas n’est pas seulement lié à sa qualité. Beaucoup d’autres paramètres entrent en compte, dont certains peuvent être travaillés, mesurés. Comme le choix d’une date de sortie par exemple.

Quel a été le rôle de l’Acid au moment de la sortie du film ?

À partir de la date de la sortie, fin août, un travail a été effectué en commun entre le distributeur, en particulier le programmateur province de Sophie Dulac, et la personne de l’Acid chargée de la programmation. Pour ce genre de film, la tournée des projections-rencontres est très importante. J’ai fait 80 à 90 débats avec ce film. L’Acid a développé au maximum le réseau, et conçu un circuit cohérent pour que je ne fasse pas d’inutiles allers-retours, regroupant les débats par région en relation avec les salles adéquates pour ce film. Celles-ci étaient incitées à faire un travail de promotion avant les débats. Parce que le fait qu’un réalisateur vienne parler de son film ne suffit pas à remplir les salles. Par exemple, puisque le film parle des coptes, certains cinémas ont pu faire venir des associations religieuses. Je crois que nous avons réalisé 5 000 à 6 000 entrées uniquement avec les débats, donc 10 % de la totalité des entrées grâce à ce travail de terrain. Pendant toute cette période, j’ai approché une dimension du cinéma que je ne connaissais pas. Les réalisateurs parlent d’argent avec la production, pour le tournage des films. Mais des enjeux économiques qui déterminent ensuite la chaîne de vie des films, je n’en étais pas du tout conscient.

Vous vous êtes depuis investi dans le travail de l’association. L’avez-vous fait parce que vous vous sentiez redevable vis-à-vis d’elle ?

Tout à fait. Quand Fabienne Hanclot [déléguée générale de l’Acid, NDLR] m’a demandé au début si j’accepterais de participer au choix de la programmation de Cannes cette année, j’étais réticent parce que je savais que c’était un énorme boulot, qu’il fallait voir beaucoup de films, que nous allions nous engueuler entre réalisateurs au moment des délibérations. Je n’avais pas non plus envie de juger les films des autres. Et, d’un autre côté, l’Acid a tellement fait pour mon film que je ne me voyais pas refuser, au moins cette année. Finalement, je suis très content de cette expérience. J’ai pu voir un panorama des films qui se sont portés candidats cette année – j’en ai vu 50 à 60. Surtout, j’ai été très agréablement surpris par la qualité des débats pour sélectionner les films. S’y mêlent les critères artistiques, la dimension politique du sujet, le fait que le film ait ou pas un distributeur, qu’il ait été déjà montré dans des festivals, etc. J’y ai appris à devenir modéré, moi qui suis d’habitude plutôt sévère. J’ai réussi à être séduit par le discours de cinéastes sur des films que je n’aimais pas du tout.

L’Acid est à l’initiative ces jours-ci d’un texte sur le danger que représente pour la diversité la concentration d’un nombre restreint de films sur les quatre cinquièmes des écrans. Qu’est-ce que cela signifie pour un film comme la Vierge, les coptes et moi  ?

Quand le film est sorti, le 29 août l’an dernier, nous avons bénéficié d’une bonne conjonction : nous avons eu entre 7 et 9 salles à Paris. Le film serait sorti en 2013, nous n’aurions obtenu que 3 à 5 salles à Paris. La situation s’est effectivement durcie ces derniers temps.

L’exploitation parisienne d’un film n’est-elle pas atypique par rapport à ce qui se passe sur tout le territoire ?

Ce qui est certain, c’est que les chiffres des entrées parisiennes ont une incidence sur les exploitants en province, qui font très attention à la moyenne des entrées par copie pour décider de leur propre programmation. En réalité, moins le film est montré à Paris, moins il a de chance d’arriver aux autres spectateurs hors Paris.

[^2]: La Vierge, les coptes et moi , Arte éditions, 1 DVD.

[^3]: 8 mai 2013.

Cinéma
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