Partenariat transatlantique : le parti pris du libre-échange

Les négociations avancent à grands pas autour du « partenariat transatlantique
de commerce et d’investissement » entre l’UE et les États-Unis. De nombreux secteurs sont visés.

Thierry Brun  • 22 mai 2013 abonné·es
Partenariat transatlantique : le parti pris du libre-échange
© Photo : ngan/afp

Le gouvernement et l’Élysée sont restés discrets sur les négociations menées en coulisse autour d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis. Nommé « partenariat transatlantique de commerce et d’investissement » (Transatlantic Trade and Investment Partnership, TTIP, PTCI en français), il est un clone du lointain « accord multilatéral sur l’investissement » (AMI), évincé en 1998 après le « non » décisif de la France. Cette fois-ci, les travaux avancent « dans une urgence qui ne doit pas occulter l’importance des enjeux », s’inquiètent une vingtaine de ministres de la Culture dans un courrier adressé à la présidence irlandaise de l’Union européenne (UE). La Commission européenne dispose d’ores et déjà d’un mandat de négociation, et le Parlement européen doit adopter le 23 mai une résolution favorable au projet d’accord. Les ministres du Commerce de L’UE devraient autoriser mi juin le lancement des négociations dès cet été, pour créer la plus grande zone de libre-échange du monde.

Le 15 mai, à Bruxelles, François Hollande rompt cependant le silence, avec le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, et fixe publiquement les limites à ne pas franchir dans ces négociations. Le chef de l’État défend le principe d’une exclusion de la culture de l’accord commercial transatlantique. La veille, plusieurs ministres de la Culture de l’UE ont rendu public une lettre initiée par leur homologue française, Aurélie Filippetti, qui va dans ce sens. Et, lors du dernier sommet des chefs d’États de l’UE, le 15 mars, François Hollande avait indiqué publiquement que les points « exclus du champ de la négociation » étaient ceux de l’exception culturelle « et notamment des services audiovisuels ». Les manœuvres politiques en cours font de la France le fer de lance de la bataille pour défendre l’exception culturelle. Le combat pour négocier une des rares clauses d’exemptions apparaît bien éloigné du projet de mandat de la Commission européenne préparé sans publicité ni débat depuis plusieurs années. « Le public n’est pas au courant de la manière dont la Commission ou nos gouvernements définiront le mandat de l’UE. C’est là un problème énorme pour la démocratie, qui ne contribuera pas à susciter le soutien du public pour ces négociations », estime Bernadette Ségol, secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats (CES), qui ajoute que « de récents procès à la Cour de justice européenne ont montré que le monde des affaires et les responsables politiques ont un accès privilégié à ces documents ». Ainsi, plusieurs fédérations d’entreprises européennes et de chambres de commerce ont rendu public, le 16 mai, une « alliance » destinée à « assister les gouvernements pendant les négociations ». Les phases préparatoires au marché transatlantique remontent au sommet entre l’UE et les États-Unis qui s’est tenu en novembre 2010 à Lisbonne, en marge du sommet de l’Otan, et se caractérisent par leur absence de transparence. La « déclaration commune » issue de ce sommet indique que les deux parties ont chargé le Conseil économique transatlantique (CET) de « rationaliser la réglementation et [de] lever les obstacles aux échanges et aux investissements, dans l’intérêt des entreprises ». L’un des conseillers officiels des réunions du CET n’est autre que le Transatlantic Business Dialogue (TABD), un lobby représentant les multinationales.

À la suite des discussions, un groupe de travail de haut niveau (le High Level Working Group on Jobs and Growth) est mis en place en 2011 avec les lobbies représentant les multinationales, en particulier le Transatlantic Policy Network (TPN), un réseau d’influence très proche des milieux d’affaires. Le groupe de travail, coprésidé par Karel De Gucht, commissaire européen au commerce, et Ron Kirk, représentant des États-Unis pour les questions commerciales, a planché pendant deux ans et publié récemment un rapport recommandant le lancement des négociations pour conclure un partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, officiellement annoncées le 13 février par Barack Obama, José Manuel Barroso et Harman Van Rompuy, président du Conseil européen. Selon la Commission européenne, les négociations porteront sur la suppression des dernières barrières douanières des produits industriels et agricoles. L’accord devra ôter les « entraves » au commerce « telles que, par exemple, les différentes normes de sécurité ou environnementales ». Les deux parties « envisagent un accord “vivant” permettant une convergence progressive des réglementations au fil du temps », explique encore la Commission, qui ne précise pas que les divergences juridiques concernent les organismes génétiquement modifiés (OGM), couramment consommés aux États-Unis, l’utilisation du bœuf aux hormones et celle du poulet chloré. Les futures négociations porteront notamment sur le secteur des services, dont les « nouveaux secteurs, tels que celui des transports ». Elles veulent atteindre « les niveaux les plus élevés de libéralisation et de protection des investissements », et supprimer les restrictions d’accès aux marchés publics.

En outre, l’UE et les États-Unis s’engagent « à maintenir et à promouvoir un haut niveau de protection de la propriété intellectuelle », une mesure suscitant l’inquiétude des organisations de la société civile qui avaient rejeté massivement, il y a quelques mois, l’accord commercial anti-contrefaçon (Acta). Et le très libéral Karel de Gucht a rappelé récemment qu’il était défavorable à l’exclusion des secteurs de la culture. La Commission européenne « a décidé d’inclure les services audiovisuels dans son mandat. Il s’agit bien d’un renoncement à pérenniser l’exception culturelle et à promouvoir la diversité culturelle ! », dénonce la CGT, ainsi qu’une pétition de réalisateurs européens, sous le titre : « L’exception culturelle n’est pas négociable ! ^2 ». Ces revendications ne sont pas nouvelles : il en était déjà question dans le projet d’AMI, négocié secrètement au sein de l’OCDE. Cette fois-ci, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault est loin de rejeter un tel accord.

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