Rire avec la meute

Avec leur cruauté désopilante, les Chiens de Navarre interrogent la thérapie de groupe.

Anaïs Heluin  • 2 mai 2013 abonné·es

Ils sont à moitié loqueteux, sanguinolents, le visage déformé par des prothèses dentaires en plastique. Dès la première scène, les neufs comédiens de Quand je pense qu’on va vieillir ensemble composent une « meute », image chère à la compagnie des Chiens de Navarre. Sur de la terre battue, dans un décor minimaliste à l’allure de no man’s land, ils se livrent à une partie de pétanque pour le moins originale. Tantôt violents charognards prêts à tout pour marquer un point, tantôt chétives créatures au bord de l’effondrement, les marginaux tracent une géométrie pantelante du lien entre groupe et individu. Plus précisément, du rôle du groupe quand l’individu perd pied, quand il cesse de répondre à tout impératif social.

C’est là la principale nouveauté de cette dernière création des Chiens de Navarre par rapport à leur travail habituel. Dans Une raclette (2010) comme dans ses pièces précédentes, la troupe dirigée par Jean-Christophe Meurisse interrogeait exclusivement les dynamiques de groupe, leurs perversités, l’enfermement qu’elles génèrent. Elles se situaient donc dans des espaces clos, clairement délimités par une table et quelques chaises. Dans Quand je pense qu’on va vieillir ensemble, le plateau est au contraire ouvert à tous les possibles. Unies par le seul fil rouge de la détresse psychologique, les nombreuses et assez courtes scènes de la pièce proposent toutes une réinvention du carré de terre initial. Elles reviennent parfois au dispositif chaises-tables, mettent en place des lieux d’errance oniriques, des couloirs de poésie trash où peut s’engouffrer le rire spontané toujours recherché par les Chiens de Navarre.

Récurrentes, des scènes de thérapie de groupe toutes plus loufoques les unes que les autres suscitent une véritable catharsis par le rire. De tout le spectacle, ce sont aussi elles qui interrogent le mieux les frontières entre dignité et ridicule, entre esthétique et vulgarité. Car on rit de personnages désaxés, incapables de se soumettre au plus simple des rituels sociaux et qui, on le sent, pourraient vite basculer dans l’insignifiance et la clownerie de bas étage. Exhibée, cette fragilité braque les interrogations sur la pratique théâtrale des Chiens de Navarre. Et l’on comprend que, si le tout opère à merveille, c’est grâce à l’écriture collective et au choix de l’improvisation. Ceux-ci s’accordent à la précarité décrite, lui donnent le subtil tremblement des êtres sur le fil.

Théâtre
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