Jean-Luc Touly : « Il faut revenir à une analyse publique de l’eau »

Jean-Luc Touly dénonce des examens insuffisants, inégaux selon les régions, aux résultats opaques. Selon lui, le secteur privé privilégie les contrôles de paramètres qui rapportent le plus, pas forcément liés à l’intérêt général.

Thierry Brun  • 6 juin 2013 abonné·es

Spécialiste de la gestion de l’eau, Jean-Luc Touly fait partie des rares élus à s’inquiéter de l’emprise du secteur privé sur le contrôle de la qualité de l’eau.

Des groupes privés ont quasiment le monopole de l’analyse sanitaire de la qualité de l’eau potable en France. Quels sont les intérêts en jeu ?

Jean-Luc Touly : Le secteur privé a vu tout l’intérêt de ce marché des analyses de la qualité de l’eau, qui est rentable et stratégique. C’est pour cette raison que, les uns après les autres, les laboratoires publics sont fermés ou perdent un certain nombre de contrôles, comme cela a été le cas du Crecep, le principal laboratoire municipal de contrôle de qualité des eaux de la Ville de Paris. La recherche publique étant peu financée, le privé s’intéresse aux contrôles de paramètres qui rapportent le plus, et qui ne sont pas forcément liés à l’intérêt général en matière de santé publique. Il y a plus d’un an, dans le cadre d’une enquête lancée sur la qualité des eaux par la Fondation Danielle-Mitterrand, nous avons pu constater des carences. L’étude de la qualité des eaux est extrêmement opaque et peu renseignée. Il y a une sorte de couvercle mis sur les analyses et les contrôles. La solution est donc de revenir à des laboratoires publics par département pour que l’on puisse savoir où on en est du bon état écologique des eaux.

Contestez-vous la fiabilité des analyses de l’eau ?

Il faut se poser plusieurs questions. Contrôle-t-on la qualité des eaux au niveau du robinet où à la sortie des usines de production ? Entre la sortie des usines et les robinets, il y a plusieurs kilomètres de canalisations mal entretenues, qui datent pour la plupart de 250 ans alors que leur durée de vie théorique est de 80 ans. Qu’est-ce qu’on vérifie ? Parmi les 60 paramètres, ceux liés au contrôle de résidus médicamenteux et à la présence d’aluminium, susceptibles d’être dangereux pour l’humain, sont absents. Est-ce qu’on contrôle de la même façon un village rural et une grande cité urbaine ? La réponse est non. Dans un village, on réalise un ou deux contrôles par an, en région parisienne, 650 000. Nous ne sommes pas égaux suivant le lieu d’habitation, ce qui pose un problème de santé publique. Beaucoup répondront que nous avons la meilleure eau dans les régies publiques et dans les délégations de service public et qu’il n’y a pas de raison d’affoler les gens. Il faut cependant être très prudent, du fait que l’on applique des normes de potabilité différentes des normes de santé publique. Nous avons certes une eau potable, mais, en termes de santé, cette eau potable est souvent à la limite. C’est inquiétant, et cela profite aux multinationales de l’eau en bouteilles, avec les conséquences environnementales qu’on connaît. Cela veut dire qu’il n’y a pas d’autre produit de substitution qu’une eau du robinet de bonne qualité.

La qualité de l’eau potable est-elle en cause ?

L’amélioration de la qualité des eaux laisse à désirer. Fin 2011, Anne Le Strat  [adjointe au maire de Paris chargée de l’eau], élue provisoirement présidente du comité de bassin de l’agence de l’eau Seine-Normandie, découvre que la redevance qui sert à lutter contre la pollution et à améliorer la qualité des eaux n’a pas été payée depuis 2008 par les industriels, en grande partie responsables, avec les agriculteurs, des pollutions de l’eau. Pendant trois ans, plus de 130 millions d’euros de redevance n’ont pas été versés ! Or, à la tête de cette agence de l’eau, qui s’occupe de la qualité des eaux par bassin ? Le président de Veolia jusqu’en 2011. Depuis fin 2011, un représentant du Medef chargé de l’environnement lui a succédé, avec pour principaux collaborateurs des représentants d’EDF, de Veolia et de Suez ! Par ailleurs, l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, créé en 2007, n’a pas vraiment rempli sa mission en matière de données statistiques sur la qualité de l’eau. Cela a été confirmé par la Cour des comptes et la ministre de l’Écologie, Delphine Batho, qui a demandé un audit. Deux groupes de travail, présidés par deux parlementaires et avec l’appui du Comité national de l’eau, où l’on retrouve tous les acteurs du secteur, doivent contribuer cet été à l’évaluation de la politique de l’eau en France afin que notre pays, prétendument à la pointe dans ce domaine, respecte en 2015 la directive-cadre sur l’eau initiée en octobre 2000.

Écologie
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