Le Front national et l’apartheid,
petit rappel historique

Invitée ce matin de France Inter, Marine Le Pen a prétendu effrontément que son père « a toujours condamné l’apartheid » en Afrique du Sud. Il n’en est rien, comme le prouve une rapide plongée dans nos archives.

Michel Soudais  • 26 juin 2013
Partager :
Le Front national et l’apartheid, petit rappel historique

Plus c’est gros, plus ça passe. Marine Le Pen, interrogée sur la disparition prochaine de Nelson Mandela, a affirmé au micro de France Inter qu’il était « une figure d’apaisement » et que la fin de l’apartheid, « un système évidemment profondément contestable, condamnable et injuste » , avait été « une bonne nouvelle pour le monde entier » .

Au journaliste Patrick Cohen , qui lui faisait remarquer qu’au moment de la libération de Nelson Mandela, Jean-Marie Le Pen s’était dit « ni ému ni ravi » , la présidente du Front national, qui n’en est pas à son premier mensonge dans une émission, a lancé à plusieurs reprises : « Vous vous trompez. » Avant de soupçonner notre confrère d’avoir été « chercher [ses] informations à Libération ou à Mediapart » .
La pauvresse a décidément la mémoire courte (ou sélective) car son père a bien tenu ces propos au cours d’une émission « l’Heure de vérité » en mai 1990. Quant à son affirmation, « mon père a toujours condamné l’apartheid » , elle est contredite par ses propos dans cette émission à laquelle elle assistait pourtant, et au premier rang, comme on peut le voir sur la vidéo ci-dessous.

Il y qualifiait encore Nelson Mandela de « terroriste » en affirmant à 57′ : « J’ai toujours une espèce de méfiance à l’égard des terroristes, quel que soit le niveau auquel ils se situent. » Dans la suite de la conversation, Jean-Marie Le Pen, que l’on n’avait pas connu si prévenant pour accueillir d’anciens terroristes de l’OAS au sein du FN, paraît alors douter que « la politique de M. De Klerk a été la bonne » et juge possible une « disparition de l’Afrique-du-Sud (…) dans un chaos sanglant » qui destinerait ce pays à un avenir semblable au Vietnam ou au Cambodge.

« L’apartheid, une utopie »

Quelques mois plus tôt, le 11 février 1990 , commentant à chaud la libération de Nelson Mandela lors d’un Grand Jury RTL-Le Monde, M. Le Pen, avait déclaré ceci :
« L es incidents qui marquent la sortie de Nelson Mandela inclinent au pessimisme (…). Le système de l’apartheid était un système de développement séparé. Peut-être était-ce une utopie. »
C’est pourtant cette « utopie » que le Front national poursuit quand il inscrit à son programme « la préférence nationale », rebaptisée depuis peu « priorité nationale », avec la création de caisses sociales séparées pour les Français et les nationaux. Ou la fin du droit du sol, rappelée ce matin encore par Marine Le Pen dans ses réponses aux auditeurs de France Inter.

On pourrait reconnaître au Front national une grande constance dans son appréciation de l’apartheid.
Invité de « l’Heure de vérité », le 6 mai 1987 sur Antenne 2, Jean-Marie Le Pen s’était refusé à le condamner :
« La définition de la démocratie ne se borne pas pour un pays seulement à l’exercice du droit de vote… Ayons aussi le courage de dire que le niveau de sécurité, de l’emploi, le niveau social font partie de la définition d’une démocratie et que, dans ce domaine, certains pays africains, américains du Sud et européens ont bien de la chance de pouvoir se décharger sur l’Afrique du Sud de tous les péchés du monde. »

Quand le FN fricotait avec le pouvoir blanc

De 1986 à 1988, les députés du FN à l’Assemblée nationale avaient contribué avec des élus de droite, RPR et UDF, à relancer un groupe d’amitié France-Afrique du Sud qui était un soutien ostensible du régime de Pretoria. Neuf des trente-cinq élus du FN en étaient membres. Et trois d’entre eux qui n’étaient en rien des marginaux dans l’appareil frontiste, Jean-Pierre Stirbois, son numéro 2, Jean-Pierre Schénardi et Bruno Gollnisch, ont d’ailleurs participé en juillet 1987 à un voyage parlementaire à l’invitation du gouvernement de Pick Botha, en pleine crise diplomatique entre la France et l’Afrique du Sud autour du sort d’un coopérant français, Pierre André Albertini, emprisonné au Ciskei et qualifié de « terroriste » par M. Stirbois. Ils en étaient revenus pleinement satisfait du point de vue des autorités. Et heureux, soutenaient-ils de concert avec leurs collègues Jean Kiffer (RPR) et Jean Brocard (UDF), d’avoir découvert « un pays en mutation » , « calme » , «  où se côtoient toutes les races sans discrimination apparente » et « où la présence policière est pratiquement inexistante sans comparaison avec celle de la banlieue parisienne » [^2]. Ce qui n’avait pas manqué de faire scandale, 70 % de la population d’Afrique du Sud étant alors encore privée de droit de vote.

Parallèlement, le groupe présidé par M. Le Pen au Parlement européen était un grand défenseur de l’Afrique du Sud. Et c’est Olivier d’Ormesson qui s’y collait en des termes dénués d’équivoque [^3] :
«  Au nom de quelle loi morale, de quelle loi politique, de quelle loi divine, la Communauté européenne s’acharnerait-elle contre la gardienne des routes océaniques et des minerais indispensables au développement de notre économie ? »
M. d’Ormesson, qui passait pour un « modéré » au sein du FN, convenait tout de même qu’il fallait lutter contre « les aspects les plus choquants de l’apartheid » … Seulement, les plus choquants.

En regard de ce long compagnonnage, le fait que la municipalité FN de Vitrolles, conduite par Catherine Mégret, ait fait débaptiser en octobre 1997 la place Nelson Mandela, comme l’a rappelé Patrick Cohen ce matin sur Inter, est aussi logique qu’anecdotique.

Et l’emportement de Marine Le Pen contre un sensibilité « au vieux relent de bolchévisme » qui tiendrait France inter, rebaptisé « Radio Bolcho » est bien révélateur d’un passé qui ne passe pas.


Le Pen: « Les Français se rendent compte que le… par franceinter


[^2]: Le Monde, 12 juilet 1987

[^3]: Le Monde , 5 novembre 1987

Temps de lecture : 5 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don