Marche des sourds de Paris à Milan

Cinq marcheurs partis de Paris en mai arrivent à Milan vendredi. Ils dénoncent le mépris de la culture et de la langue des sourds.

Erwan Manac'h  • 27 juin 2013
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Marche des sourds de Paris à Milan

Après presque un mois et demi de marche quotidienne, les jambes sont douloureuses, mais le moral est bon. Les cinq marcheurs partis de Paris le 18 mai ont passé la frontière italienne et font route vers Milan, où ils sont attendus vendredi.

Durant leur long périple, ils ont rencontré les solidarités des petites communes ou d’associations amies. Mais ces militants partis pour faire connaître leur cause se heurtent à un étouffant silence médiatique.

Sortir de l’ombre, c’était justement l’aspiration de la petite bande de militants, avec le soutien « énorme » des 4 millions de sourds de France. « Nous voulons être regardés comme des gens qui ont une culture et une langue et non plus seulement comme un problème médical » , explique Patrick Belissen, à l’occasion d’une pause sur leur chemin entre Turin et Milan, mardi.

Sourds avec un « S » majuscule

La destination de Milan a d’ailleurs été choisie comme symbole, car la ville accueillait en 1880 un congrès sur l’éducation des enfants sourds, où des « experts » recommandaient de privilégier la « méthode orale » pour l’apprentissage. Un moment « fatidique », qui a entravé pendant plus d’un siècle le développement de la langue des signes. Si l’interdiction de la langue des signes était officiellement levée par décret en 1991, la France reste très en retard dans l’éducation bilingue des enfants sourds. En conséquence, le taux d’illettrisme des sourds de France avoisine les 90 %, indiquent notamment les marcheurs.

Ils sont banquiers, salariés d’une agence de tourisme, formateur, jeune retraité et art-thérapeute, tous Sourds, « avec un S majuscule pour affirmer [leur] appartenance au peuple sourd » . Ils marchent pour dénoncer une relégation perpétuelle au rang « corps à réparer » , objets de biotechnologie ou de génétique et comme étrangers dans leur propre pays. Un « mépris » qui isole les sourds, avec « une incidence hautement néfaste sur notre santé mentale », écrivent les organisateurs de la marche sur leur site. « Nous voulons être reconnus comme une minorité ethnolinguistique » , ajoute Patrick Belissen, joint par téléphone par l’intermédiaire d’une interprète. Nous sommes 70 millions de sourds dans le monde, nous avons une culture mondiale et raffinée » .

« Dépistage » précoce

Le mouvement OSS 2007, pour « opération de sauvegarde des sourds », qui lançait déjà, il y a cinq ans, une grève de la faim, réclame plus concrètement une loi pour changer « les regards » et l’inscription dans la Constitution de la langue des signes comme « langue de France » . Ils revendiquent la création d’un « Observatoire des affaires sourdes » composé de scientifiques et de personnes sourdes, capable de faire face au lobby pharmaceutique et médical pour que les sourds ne soient plus exclus des processus de décision qui les concernent.

« L’an dernier, une loi sur le “dépistage” précoce de la surdité a été votée, pour orienter les enfants précocement vers des filières de soins , s’indigne Patrick Belissen, président d’OSS 2007. Mais ce sont des filières qui créent des problèmes bien pires que la surdité, en termes de sociabilité et de santé psychique. »

Légende : De gauche à droite : Jacques Sangla, Josiane Salmon, Philippe Angèle Ode Punsola et Patrick Belissen. - Photo [OSS2007->http://www.oss2007.org/attache-de-presse/]

En guise de réponse, les marcheurs n’ont pour l’heure reçu qu’un simple courrier du ministère des Affaires sociales qui leur explique avoir transmis leurs revendications à Marie-Arlette Carlotti, ministre délégué en charge des Personnes handicapées. « On en a assez d’être regardé comme des personnes handicapées » , s’agace Patrick Belissen, qui veut gagner l’attention des ministères de droit commun.

Des rendez-vous ont été fixés jeudi devant les mairies d’une vingtaine de villes de France pour « se faire entendre » et soutenir les revendications des marcheurs.

Voir la liste des villes participantes

Les rendez-vous ont été fixés à 14 h devant les mairies de Paris, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Marseille, Lyon, Strasbourg, Lille, Orléans, Poitiers, Grenoble, Rennes, Nantes, Tours, Saint-Brieuc, Brest, Angers, La Rochelle, Dijon, Limoges et Auray (horaires à confirmer selon les villes).

Société Travail
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