Avignon In : à cris perdus dans la nuit

Par les villages de Handke et Shéda de Niangouna desservent leur sujet en se déployant longuement, sans relief ou dans la confusion.

Gilles Costaz  • 11 juillet 2013 abonné·es

Le 67e Festival d’Avignon s’est ouvert avec de grandes paroles, de grands débordements de mots, de clameurs, d’injonctions et d’incantations. Les langages très contraires de l’Autrichien Peter Handke et du Congolais Dieudonné Niangouna se déploient longuement dans la nuit provençale, le premier dans la vénérable Cour d’honneur du Palais des papes, le second dans le cirque de pierre de la carrière Boulbon. Pourtant, rien de vraiment mémorable ne se produit dans ce coup d’envoi seulement courageux, où s’affirme un amour du verbe et des textes – que prolongeront des spectacles à venir comme la transposition des Particules élémentaires de Houellebecq.

La pièce de Handke, Par les villages, qui date d’une trentaine d’années, est à la fois une chronique, un chant, un message. Deux frères et une sœur s’opposent autour d’une maison familiale dont ils héritent. L’un des frères s’est éloigné, c’est un intellectuel. L’autre est ouvrier. La sœur est employée de bureau. Ils représentent trois classes de la société et trois attitudes. Chacun affirme sa vérité dans un déroulement totalement choral. Les souvenirs surgissent, mais vite recouverts par la relation du travail quotidien et des leçons de vie opposées. Handke entrechoque des êtres humains saisis dans leur personnalité privée et sociale, s’amusant en sous-main à se mettre en cause lui-même, lui, l’écrivain, que le monde du travail regarde avec ironie. La pièce se termine par une longue adresse au public, ou plutôt à chacun de nous, pour que nous apprenions à mieux aimer le monde et les hommes. À vrai dire, ce n’est pas le Handke qu’on préfère. Très prêchi-prêcha. En même temps d’une foudroyante pertinence sur la société où nous vivons : l’importance du cercle villageois en temps où tout se conçoit à l’échelle de la ville et du gigantisme, l’effrayante progression du pouvoir de l’argent, la lutte des classes remplacée par l’individualisme et l’absence de solidarité, la nécessité de se comprendre à l’échelle du plus simple et du plus minimal. Handke a tout compris, mais il le dit avec une telle naïveté, un langage si plat et si basique qu’on se croit parfois au cours de rattrapage des recalés au bac. Face à cette masse de discours, Stanislas Nordey oublie de changer son style de mise en scène. Il persiste dans une mise en place frontale de tous les personnages et une direction d’acteurs fondée sur la profération, si adaptée à son précédent spectacle ( Tristesse animal noir ) mais, ici, pléonastique. C’est du rectiligne sur du rectiligne. Il y a quelques belles personnalités d’acteurs : Laurent Sauvage, Emmanuelle Béart, Annie Mercier et peut-être Jeanne Balibar, qui dit étonnamment le monologue final de quarante minutes mais dans un réglage sonore déficient aux effets métalliques.

Quatre heures pour Handke, près de cinq pour Niangouna ! La pièce du Congolais, Shéda (le titre est plus une apostrophe guerrière qu’un mot véritable), brasse les états d’âme d’un peuple, en trois mouvements : « Peur, Solitude et Urgence ». États d’âme d’une collectivité écrasée par le colonialisme et ses avatars, la pauvreté, les guerres civiles et la terreur. États d’âme aussi de l’auteur qui a composé son œuvre en une succession de fragments qui tiennent du cri, de la démonstration et du carnet intime. Le problème est que tout cela est fouillis, bric-à-brac, brocante, caverne d’Ali Baba. On ne sait pas toujours où l’auteur veut en venir. Il entend sans doute montrer qu’il a lui aussi la liberté surréalisante des écrivains occidentaux. Mais ses discours politiques, style café du commerce sans le deuxième degré, sont très faibles. De temps à autre, des éclats de poète. Mais un tel marathon disputé furieusement par quatorze artistes pour si peu de beauté, cela laisse perplexe.

Théâtre
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