La corde tient le pendu : jusqu’à quand ?

La solution des libéraux à la crise en Europe ? Devenir tous allemands…

Christophe Ramaux  • 18 juillet 2013 abonné·es

La démission du ministre des Finances du Portugal, élève docile de la Troïka, marque-t-elle un tournant ? L’avenir le dira. Elle témoigne dans tous les cas de l’ampleur de l’impasse en Europe. Depuis 2010, pour justifier l’austérité salariale, les néolibéraux ont repris l’offensive au nom de deux arguments : la dette publique et la compétitivité. Le résultat est terrible.

La dette publique ? En moyenne, dans la zone euro, elle est passée de 85 % à 91 % entre fin 2010 et fin 2012 (+ 6 pts de PIB). Pour l’Allemagne, où les taux d’intérêt sont très bas et la cure d’austérité moins vive qu’ailleurs depuis trois ans, elle a légèrement baissé, de 82,4 % à 81,9 %. Mais, au Portugal, elle est passée de 94 % à 124 % (+ 30 pts), en Espagne de 62 % à 84% (+ 22 pts). En Grèce, de 148 % fin 2010, elle a atteint 170 % fin 2011. Suite au défaut partiel, la dette grecque a été réduite à 136 % début 2012. Et elle est repassée à 156 % fin 2012 (+ 20 pts en un an) [^2]. Explications : la baisse des dépenses publiques et la hausse des impôts contractent l’activité et donc les recettes. Ce qui est gagné d’un côté est perdu de l’autre. Un autre mécanisme joue plus encore : la chute du dénominateur (le PIB) fait bondir le ratio dette publique-PIB. Ainsi, les pays qui ont été le plus loin dans l’austérité budgétaire sont ceux dont la dette publique explose. Bravo les gouvernants néolibéraux ! Aux États-Unis, du moins pour l’heure, la situation est différente. La relance, tant budgétaire que monétaire, a été beaucoup plus massive. La croissance est au rendez-vous, les taux d’intérêt sont très bas, l’inflation est plus forte : la dette privée se réduit sans que la dette publique explose.

La compétitivité ? Avec la monnaie unique, les pays ne peuvent plus dévaluer. Les pays du Sud ont accumulé des déficits extérieurs (jusqu’à 15 % du PIB pour la Grèce en 2008, 10 % au Portugal), tandis que l’Allemagne, en tête, accumulait des excédents. La solution des néolibéraux ? Devenir tous allemands… comme si les pays européens pouvaient tous être excédentaires entre eux [^3] ! Le résultat ? L’austérité salariale des pays d’Europe du Sud permet certes de réduire leur déficit extérieur, mais, pour l’essentiel, par la chute des importations et non par le rebond des exportations. La demande et donc l’investissement chutent dans ces pays : comment pourraient-ils devenir plus compétitifs ? L’Espagne parvient certes à glaner quelques points à l’exportation… mais au détriment de la France. C’est la course à l’abîme.

Le néolibéralisme ne marche pas. On le savait depuis 2007. On le sait encore mieux à présent. L’Europe est dans la situation du fou qui se tape la tête contre un mur afin d’apaiser son mal. Le scénario libéral est tout écrit : poursuivre la tentative de démantèlement de l’État social, cette part de socialisme qui existe dans nos sociétés. La BCE (elle aurait gros à perdre dans la fin de l’euro qui menace) vient d’intervenir et le fera à nouveau pour essayer de colmater les brèches. Mais c’est le scénario de la corde qui tient le pendu : celui de l’enlisement sans fin dans la crise. Le changement, c’est urgent.

[^2]: En France, où l’austérité est un peu moins brutale qu’en Europe du Sud, elle est passée de 82 % à 90 % (+ 8 pts).

[^3]: La zone euro engrange des excédents commerciaux depuis deux ans contre le reste du monde, comme si elle avait comme seule ambition d’écouler sa production vers les pays moins développés. Bravo aussi pour ça !

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

Temps de lecture : 3 minutes