Penser (tout) contre le Front national

L’adoption des phobies des Pen est comme une conversion au vérisme.

Sébastien Fontenelle  • 18 juillet 2013 abonné·es

Nonobstant qu’il peut des fois donner l’impression de partager quelques-unes de ses obsessions, Alain Finkielkraut, penseur de médias, aime narrer qu’il n’apprécie guère l’extrême droite – le gars sait se tenir, quand même. Plus précisément : Alain Finkielkraut ne dédaigne point de mentionner que l’ascension du Front national (ADFN) ne le ravit pas complètement. Puis de suggérer, pour en finir avec l’ADFN, une recette relativement simple (et si évidente qu’on se demande pourquoi personne ou presque n’y avait pensé avant lui – ce que c’est, tout de même, que le génie) : il suffirait, explique-t-il en substance, que tout le monde partage certaines vues des Pen, et, comme ça, ils ne pourraient plus faire les mariolles.

Et, bien sûr, cette audacieuse proposition s’heurte encore contre l’obstacle que d’aucun(e)s, parmi la France, continuent de trouver que la propagande pénique (PP) pue très fort la xénophobie. Mais, pour Alain Finkielkraut, elle exprime un pérenne souci de restituer « la réalité » pour ce qu’elle est. En 2002, rappelons-nous [^2] – juste après que le père Pen s’était hissé jusqu’au second tour de l’élection présidentielle en flattant dans son électorat quelques instincts grégaires –, « Alain Finkielkraut estimait que “la réalité [avait] fait campagne pour Le Pen”.  » Et le voilà qui, onze ans plus tard, continue de déplorer (sans toutefois trop préciser son propos, et sans jamais dire nettement ce que sont ces « choses » qui le préoccupent si fort, car il entrevoit peut-être ce qu’un tel exercice aurait de périlleux) qu’ « on parle de “lepénisation des esprits” aujourd’hui dès qu’on essaie d’appeler les choses par leur nom ». Et de réciter, inchangé, que, « ce qui fait le jeu du FN, c’est la volonté d’occulter la réalité pour ne pas faire le jeu du FN ».

Dès lors, l’adoption des phobies des Pen est comme une conversion au vérisme, cependant que leur fustigation trahit un refus (navrant) de prendre en compte le réel – et le monde se divise en deux, entre les réfléchi(e)s naturalistes qui font l’effort de mesurer que le chauvinisme est un réalisme, et les pauvres nœuds pétris d’angélisme qui continuent de considérer que la fermeture du bureau de poste de Broutechoux-les-Moulins n’est pas le résultat d’une contre-colonisation de la Beauce par des hordes mahométanes. À partir de là, plus rien ne s’oppose, bien au contraire, à ce que d’autres que les Pen hurlent très fort les mêmes vilenies qu’eux – pour la bonne cause, évidemment, puisqu’il s’agit, rappelons, d’éviter que l’ADFN ne se poursuive vers des hauteurs trop élevées. C’est lumineux, et, du coup, on se prend à regretter que personne, dans les années 1930, n’ait eu l’intelligence d’user, contre l’extrême droite, de la merveilleuse méthode consistant à chanter, pour mieux la combattre, sa véridicité… 

[^2]: En relisant Rêves de droite , par Mona Chollet, Zones, 2008.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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