La gauche immorale

Ces personnages ont toujours eu un mot à la bouche : « l’ordre », souvent flanqué du qualificatif « républicain » censé le rendre plus acceptable, et aujourd’hui une variante : « la sécurité ».

Denis Sieffert  • 24 octobre 2013
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Puisqu’il y a une « gauche morale », c’est qu’il existe une « gauche immorale ». La première est assez moquée pour son angélisme et sa stérilité pour qu’on se penche sans aménité sur la seconde. Le schisme n’est pas nouveau. Clemenceau, réputé à gauche depuis son engagement dreyfusard, fut un va-t-en guerre féroce, jusqu’à se féliciter de l’assassinat de Jaurès, ardent pacifiste [^2]. Le ministre SFIO Marx-Dormoy fit tirer sur une manifestation antifasciste à Clichy en 1937. Le même ordonnait à ses préfets de « refouler impitoyablement tout étranger » qui tenterait d’entrer sur le territoire national illégalement. Le socialiste Jules Moch fit réprimer par les CRS, qu’il venait de créer, les grèves des houillères du nord en 1948. Guy Mollet se révéla un fieffé colonialiste en Algérie, jusqu’à couvrir la torture et les pires exactions. Ces personnages ont toujours eu un mot à la bouche : « l’ordre ». Un « ordre » souvent flanqué du qualificatif « républicain » censé le rendre plus acceptable. Le mot a aujourd’hui une variante : « la sécurité ». Ne pas s’adonner au culte de l’ordre et de la sécurité n’est évidemment pas prôner le désordre et l’insécurité. C’est refuser de faire de la politique avec ces seuls paradigmes en oubliant les principes et les valeurs de la gauche. Deux personnages que nous propose l’actualité nous semblent représentatifs de cette dérive : Manuel Valls et Samia Ghali. L’un vient du sérail, l’autre est une figure nouvelle et encore insaisissable. Ils ont un mode de communication consacré par Nicolas Sarkozy, avec lequel ils ont un air de famille : la transgression. Jusqu’à ce que tout repère s’estompe. Mais il ne faut pas désespérer : Marx-Dormoy et Moch n’ont pas fait que tirer sur des ouvriers, ils ont aussi voté courageusement contre les pleins pouvoirs à Pétain. Le premier l’a payé de sa vie.

[^2]: Voir la Victoire de Jaurès , de Charles Silvestre, éd. Privat.

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La gauche immorale
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