Madagascar : La faillite de l’État

Le lynchage, la semaine dernière, de deux Européens et d’un Malgache révèle une corruption qui discrédite police et justice.

Politis  • 10 octobre 2013 abonné·es

«Moi, je les paie en une fois, pour toute l’année. Comme ça, ça me coûte moins cher. » « Les », ce sont les policiers. Charlin, chauffeur de taxi à Nosy Be, a réussi à mettre suffisamment de côté pour leur payer un énorme pot-de-vin, de quoi couvrir son « dû » pour l’année. En contrepartie, les hommes en képi lui appliquent un « tarif préférentiel ». Pour tous les autres, la grande majorité des Malgaches qui n’ont pas les moyens d’épargner, il faudra passer à la caisse au quotidien. À chaque trajet en voiture, le même manège : contrôle de police et bakchich obligatoire pour pouvoir poursuivre son chemin. Des contrôles, il y en a beaucoup. Souvent deux ou trois sur un trajet d’une heure. Et si la police augmente de façon inopinée le montant du dessous-de-table ? « On n’a pas d’autre choix que de donner plus… » Ce racket ne se limite pas au trafic routier : « Un type est arrêté par la police et, une semaine après, comme par magie, il est dehors. En échange de quelques billets, un dossier criminel peut se régler. » À Madagascar, les institutions sont malades. La justice ne fonctionne plus et le peuple se fait justice lui-même.

À Nosy Iranja, une île de l’archipel de Nosy Be, la position est assumée : « Si quelqu’un fait quelque chose de travers, on lui met deux pierres aux pieds et on le balance à la mer », explique Johary, un habitant de l’île. « Tout le monde le sait. Du coup, ici, on n’a pas de criminalité. » Difficile de savoir si l’homme grossit le trait, mais son île fait bien partie des endroits les plus tranquilles du pays. Les actes de « justice populaire » sont devenus courants à Madagascar ces derniers mois. Une personne est prise en flagrant délit – de vol, le plus souvent –, la foule s’amasse et la situation vire au lynchage, sans aucune forme de procès. Tel ce drame qui s’est déroulé jeudi dernier : le lynchage de deux Européens et d’un Malgache soupçonnés d’avoir tué un enfant. La fureur semble alors charrier toutes les frustrations d’un peuple : « transition » politique qui dure depuis cinq ans, corruption omniprésente, extrême pauvreté (92 % des Malgaches vivent avec moins de 2 dollars par jour)… Lors de notre passage sur l’île le mois dernier, à la question : « Pensez-vous que les choses vont s’améliorer après les élections d’octobre ? », nous n’avons pas obtenu de réponse plus optimiste que celle de Malaïka : « Ça ne changera rien. Quel que soit le gagnant, ce sera l’homme de paille de quelqu’un déjà au pouvoir. Ils continueront à s’enrichir sans rien faire pour le peuple. »

Monde
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

« La Syrie sous Assad était un régime du silence »
Entretien 8 décembre 2025 abonné·es

« La Syrie sous Assad était un régime du silence »

Un an jour pour jour après la chute du régime de Bachar Al-Assad, Arthur Sarradin, journaliste et écrivain, revient sur les traumatismes d’une Syrie effondrée après quatorze années de guerre civile.
Par William Jean
En Syrie, le récit des survivantes de l’enfer carcéral
Syrie 8 décembre 2025 abonné·es

En Syrie, le récit des survivantes de l’enfer carcéral

Il y a tout juste un an, le régime Assad tombait. Pour faire plier ses opposants, il avait eu recours à l’emprisonnement des femmes. Comme les hommes, elles ont été torturées, affamées et pour beaucoup violées. Elles sont aujourd’hui largement invisibilisées et très souvent rejetées parce que considérées comme salies.
Par Bushra Alzoubi et Céline Martelet
« Les États-Unis veulent détruire et vassaliser l’Europe »
La Midinale 8 décembre 2025

« Les États-Unis veulent détruire et vassaliser l’Europe »

Richard Werly, correspondant en France du journal suisse Blick et auteur de Cette Amérique qui nous déteste aux éditions Nevatica, est l’invité de « La Midinale ».
Par Pablo Pillaud-Vivien
Extrême droite allemande : « Comme souvent, la colère retombe, on s’habitue »
Entretien 1 décembre 2025 abonné·es

Extrême droite allemande : « Comme souvent, la colère retombe, on s’habitue »

Alors que l’AfD vient de refonder son organisation de jeunesse à Gießen, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont bloqué la ville pour tenter d’empêcher la tenue du rassemblement. Pour la germaniste et historienne Valérie Dubslaff, cette séquence s’inscrit dans la continuité des grandes mobilisations de 2024.
Par Maxime Sirvins