Quand l’extrême droite revendique Camus

Benjamin Stora et Jean-Baptiste Péretié reviennent sur l’exposition d’Aix-en-Provence.

Denis Sieffert  • 3 octobre 2013 abonné·es

Qui douterait de l’actualité d’Albert Camus pourrait s’en convaincre à la lumière de l’affaire de l’exposition d’Aix-en-Provence. Une affaire qui est relatée par ses deux « victimes », l’historien Benjamin Stora et le documentariste Jean-Baptiste Péretié, dans un petit livre justement titré Camus brûlant. Sollicité en 2008 pour concevoir cette manifestation organisée à l’occasion du centenaire de la naissance de l’écrivain, l’historien, spécialiste de l’Algérie, en a été brutalement évincé en novembre 2012. Si la manigance a été l’œuvre de la très droitière Maryse Joissains-Masini, maire d’Aix, il n’y a pas besoin de creuser beaucoup pour apercevoir en arrière-plan l’ombre du lobby des nostalgiques de l’Algérie française. Dans un propos rapporté par le Monde, un certain Jean-François Collin, ancien de l’OAS, disait d’ailleurs tout le bien qu’il pense de Stora, « cet Israélite de Constantine […], historien autoproclamé de la guerre d’Algérie, qui soutient les thèses du FLN [et qui] est vomi par la communauté des Français d’Algérie ».

Enjeu de l’affaire, l’héritage de Camus, convoité par une extrême droite dont l’auteur de l’Homme révolté était aussi éloigné que possible, culturellement et humainement. Revendiqué, il l’est pourtant, et jusqu’à la malhonnêteté. Stora et Péretié évoquent ainsi l’épisode du « mur des disparus » de Perpignan, dressé en 2007, sur lequel on avait fait précéder une citation tirée de la Peste ( « Pour ne pas être de ceux qui se taisent » ) de la mention « À tous les harkis disparus aux noms effacés ». Si la mort prématurée de Camus, en janvier 1960, avant le putsch des généraux, avant les accords d’Évian et avant l’OAS, expose l’écrivain aux détournements d’héritage, c’est aussi qu’il n’a jamais été un militant de l’indépendance. Ce qui lui vaut parfois des critiques de l’autre côté. Camus laissait paraître ses doutes, et il n’a guère été plus loin que cet aveu confié à l’Express, début 1956 : « J’ai choisi l’Algérie de la justice, où Français et Arabes s’associeront librement ! » Grâce à d’abondantes citations de Camus lui-même, resituées dans le contexte d’une histoire qui n’était pas encore écrite, le livre de Stora et de Péretié évite de tomber dans le piège d’une récupération « de gauche » de l’auteur de l’Étranger. Mais il met aussi en lumière une réalité inquiétante dont l’affaire de l’exposition d’Aix est un révélateur parmi d’autres : dans la France de 2013, les nostalgiques de l’OAS ne manquent pas de soutiens. Ils ont repris confiance en l’avenir.

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