Quand l’homosexualité était révolutionnaire

Les éditions GayKitschCamp rééditent la première publication du mouvement gay en France.

Olivier Doubre  • 10 octobre 2013 abonné·es

Certaines des « pièces à conviction » qui constituent cet ouvrage avaient d’abord paru en 1971, dans le n° 12 du journal Tout, lié au groupe « mao-spontex » Vive la Révolution. Constituant l’une des premières expressions publiques homosexuelles en France, elles valurent à cette publication d’être saisie et poursuivie pour « outrage aux bonnes mœurs ». C’est ce qui décida les militants du jeune Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar) à constituer leur propre « dossier d’accusation », pour mieux exprimer au grand jour leurs revendications. En commençant par une « adresse à ceux qui se croient normaux » – dont la société, qui « nous traite comme un fléau social »  – et une autre « à ceux qui sont comme nous »  : « Vous n’osez pas le dire, vous n’osez peut-être pas vous le dire ; nous étions comme vous il y a quelques mois. »

L’heure est donc à l’affirmation de soi. C’est Champ libre et son fondateur, Gérard Lebovici, éditeur iconoclaste et attentif à tous les nouveaux mouvements au sein de la société en ce début des années 1970, qui acceptent de publier ce Rapport contre la normalité. Épuisé depuis 1972, l’ouvrage vient d’être réédité par GayKitschCamp, dont le maître d’œuvre, Patrick Cardon, était à l’époque membre du Fhar à Aix-en-Provence. Renseignant sur la généalogie du premier mouvement gay français, il permet de comprendre comment l’étroite relation entre sexualité et politique, aujourd’hui « évidente », s’est peu à peu constituée. Dans la foulée de Mai 68, ce sont des voix féministes d’abord, puis spécifiquement lesbiennes, qui se font entendre. Puis, en 1971, les lesbiennes sont rejointes par des homosexuels masculins, bientôt si nombreux que les femmes auront de plus en plus de mal à s’exprimer. Les assemblées générales du Fhar sont d’abord le lieu d’une libération de la parole, du refus de la honte si longtemps intériorisée. Comme le montre le slogan : « Lesbiennes et pédés, arrêtons de raser les murs ! »

Ces textes témoignent surtout d’une époque où se revendiquer homosexuel se voulait révolutionnaire, en lutte contre la société « hétéro-flic » et le mariage… synonyme d’oppression. Une époque où le futur mouvement « gay » était rejeté par les partis de gauche et les syndicats (sauf les anarchistes et quelques gauchistes) et pouvait – non sans danger – penser que les mineurs avaient eux aussi « droit au désir ». Mais il croyait fermement qu’en luttant pour ce qu’on a appelé après 1968 la « libération des mœurs », on prenait part à la lutte des classes et au combat pour l’émancipation humaine.

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