Salles de shoot : le Conseil d’État met le gouvernement face à ses responsabilités

Après l’annonce de l’arrêt du projet d’une salle de consommation dans le Xe arrondissement de Paris, les associations de réduction des risques demandent un changement de la loi.

Olivier Doubre  • 11 octobre 2013
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Salles de shoot : le Conseil d’État met le gouvernement face à ses responsabilités
© Photo: LIONEL BONAVENTURE / AFP
Un patient reçoit une trousse contenant du matériel pour s'injecter de la drogue dans un bus de l'association Gaia (Avril 2013) à proximité de la Gare du Nord à Paris.

Le Conseil d’État a donc rendu un avis négatif sur l’ouverture d’une salle de consommation à moindre risque, souvent appelée « salle de shoot » par ses opposants. Le projet était pourtant ficelé, la structure devait ouvrir d’ici un mois. Les personnels étaient recrutés, les responsables de l’association Gaia, émanation de Médecins du monde, qui devait gérer la salle, avaient rencontré les riverains, les autorités municipales et la police de l’arrondissement à de nombreuses reprises. En somme, tout était prêt. Par précaution juridique, le gouvernement avait demandé son avis au Conseil d’État sur le décret autorisant la création de ce type de dispositif, qui a pourtant été évalué scientifiquement et a fait ses preuves dans nombre de pays, de la Suisse au Canada, de l’Espagne aux Pays-Bas, de l’Australie à la Norvège. Bien mal lui en a pris.

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Les juges de la place du Palais-Royal ont simplement pointé un paradoxe juridique qui dure depuis plus de vingt-cinq ans : la loi du 31 décembre 1970, qui pénalise l’usage et la détention de tout stupéfiant illicite, parmi les plus répressives d’Europe, sinon du monde, est en contradiction avec la politique de réduction des risques, qui a pourtant elle aussi un statut légal depuis son intégration dans la loi de santé publique en 2004. Lorsque Michelle Barzach, en 1987, sous le gouvernement Chirac, autorise la mise en vente libre des seringues, elle prend un décret presque en catimini, car elle sait que la mesure, nécessaire face à l’urgence de l’épidémie de sida, est en contradiction avec une loi qui pénalise la « facilitation à l’usage de stupéfiants ». Idem lorsque les produits de substitution ont été autorisés en 1994.

« Le gouvernement s’est pris les pieds dans le tapis. »

Les associations de réduction des risques , outrées par la décision du Conseil d’État, se mobilisent aujourd’hui pour exiger une modification de cette loi vieille de plus de quarante ans. Et soulignent le manque de volonté du gouvernement en la matière. La directrice de l’association Gaia, Élisabeth Avril, qui travaille sur ce projet depuis trois ans, est à la fois découragée et en colère : « Le gouvernement s’est pris les pieds dans le tapis avec cette demande au Conseil d’Etat. »
Quant aux grandes associations historiques de la réduction des risques en France, elles se prennent à rêver d’utiliser cet avis du Conseil d’État pour obliger le gouvernement à enfin changer la loi. Non sans savoir que le contexte politique est on ne peut plus défavorable. Ainsi, pour le Réseau français de réduction des risques, Pierre Chappard souligne : « Le paradoxe de la réduction des risques à la française est mis à nu ! La réduction des risques a toujours été à la limite de la loi de 1970. Les salles de consommation à moindre risque vont un cran plus loin dans le paradoxe. Il est temps de réfléchir à une politique et à une loi plus adaptées » .
Quant à l’Association française de réduction des risques (AFR), la plus vieille fédération d’associations qui œuvrent dans le secteur, elle pointe « le bricolage » entre répression et réduction des risques depuis plus de vingt-cinq ans. Et appelle à « enfin changer la loi, puisque la “cohabitation” entre loi et réduction des risques n’est désormais plus possible » . Enfin, l’association Auto-support d’usagers de drogues (ASUD) manie l’humour en disant « merci au Conseil d’État pour son travail de clarification : pour réduire les risques liés à l’usage de drogues, il faut changer la loi de 1970 » .

Si on peut douter que, dans le contexte actuel , ces associations soient entendues, elles pointent néanmoins une contradiction que la ministre de la Santé, Marisol Touraine, à l’origine de la saisie du Conseil d’État dans cette affaire, devra résoudre. Ne serait-ce que pour que la politique française de réduction des risques, qui a fait ses preuves en réduisant grandement les contaminations par le virus du sida des usagers de drogues et en divisant par cinq les overdoses, ne disparaisse tout simplement pas.

Société Santé
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