Christophe Oberlin : Après l’Égypte, le Hamas ?

Parmi les objectifs du coup d’État en Égypte, il en est au moins un qui est clair : faire tomber le Hamas de Gaza. Tribune.

Christophe Oberlin  • 14 novembre 2013 abonné·es

Appuyé par une coalition hétérogène, le coup d’État militaire du 3 juillet dernier en Égypte a déclenché une avalanche de commentaires. « Les Égyptiens ne voulaient plus de ce gouvernement », a-t-on entendu ici et là dans les médias français. Et, en effet, des millions d’Égyptiens ont signé une pétition pour le départ de Mohamed Morsi, élu un an plus tôt. Mais, dans notre pays, a-t-on jamais demandé à nos présidents de démissionner un an après leur élection au prétexte que les sondages leur sont défavorables ? À ce compte, aucun n’aurait terminé son mandat ! Le verdict des urnes ne serait-il valable qu’en Occident ? Le gouvernement Morsi a été la cible de critiques contradictoires. Pour les uns, il n’a rien fait. Pour les autres, il est devenu dictatorial, et son président s’est conduit comme un « nouveau pharaon ». La vérité est que, en un an, la situation matérielle de la majorité des Égyptiens ne s’est pas améliorée. Mais était-il facile d’agir lorsque la police et l’armée n’exécutent aucun ordre ? La comparaison s’impose avec ce qui s’est passé dans la bande de Gaza entre les élections gagnées par le Hamas en 2006 et sa prise de pouvoir total en juin 2007. « Pas un ordre que j’ai donné n’a été appliqué », se souvient aujourd’hui Bassem Naïm, qui était à l’époque ministre de la Santé. Nombre de médecins traînaient dans la cour des hôpitaux, payés par l’Autorité palestinienne à la condition expresse de ne pas travailler.

De même, rien n’a été épargné au pouvoir égyptien, pourtant démocratiquement élu. Les petits calculs politiciens ont joué leur rôle : le gouvernement a vu sa base politique et électorale fondre comme neige au soleil. Ceux qui auraient pu lui être associés ont rejoint la coalition des « anti ». Ajoutez quelques coupes dans les aides financières internationales, des coupures régulières d’eau et d’électricité au Caire, où il n’y en avait jamais eu, la pénurie d’essence. Ajoutez encore une campagne médiatique où le mensonge et l’insulte ont été confondus avec la liberté de la presse, devant un auditoire dont la moitié est analphabète, quelques églises incendiées (par qui ?), et le tour est joué ! L’Occident n’attendait que ça, Israël aussi. Quant à l’Autorité palestinienne, illégale depuis 2009 au regard des lois palestiniennes, elle a donné sa bénédiction au nouveau pouvoir. On danse aujourd’hui en Israël. Oublions l’Égypte, qui « est sur la bonne voie » et concentrons-nous sur la Syrie… On connaît la suite : après plusieurs semaines d’occupation de la place Rabaa al-Adawiya par ceux qu’il faut bien appeler les légitimistes, on a assisté, le 14 août, à une évacuation d’une violence inouïe qui s’est soldée par des centaines de morts et des milliers d’arrestations, dont des étrangers emprisonnés arbitrairement, et l’assassinat d’un enseignant français dans sa prison du Caire [^2]. Bien entendu, la première mesure de « politique étrangère » du nouveau pouvoir a été de fermer la frontière avec la bande de Gaza. Un médecin pédiatre français, entré le plus légalement du monde à Gaza au mois d’août, a été bloqué pendant un mois, sa sortie par la frontière nord étant également refusée par Israël.

Car, parmi les objectifs du coup d’État en Égypte, il en est au moins un qui est clair : faire tomber le Hamas de Gaza. Les tunnels, toujours qualifiés de passages de « contrebande », sont progressivement fermés, et les camions chargés de fuel, de vivres et de matériel de construction sont stoppés à Rafah. Gaza doit donc acheter à Israël non seulement l’essence (trois fois plus cher), mais aussi les produits alimentaires, les importations en provenance du monde entier taxées par Israël, le prélèvement étant reversé à l’Autorité Palestinienne – une bonne affaire pour tous.

On imagine la suite : quelques manifestations à Gaza opportunément suscitées, quelques assassinats ciblés qui ne provoqueront aucune protestation en Occident, et pourquoi pas un « attentat anti-chrétien », et l’armée égyptienne « viendra au secours de Gaza ». Mohammed Dahlan, l’ancien chef controversé du Fatah à Gaza, aura pris sa revanche. Mais l’opinion arabe acceptera-t-elle ce scénario ? Les morts de Rabaa al-Adawiya seront-ils oubliés ? Et l’Égypte se portera-t-elle mieux dans un an ?

[^2]: Le médecin français Christophe Denantes, lui-même retenu dans la prison Kasr-El-Nil, a témoigné de conditions d’incarcération indignes et dangereuses. Un médecin et un journaliste canadien sont actuellement dans la même prison, en grève de la faim.

Monde
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

Droit international : quand règne la loi du plus fort
Monde 9 juillet 2025 abonné·es

Droit international : quand règne la loi du plus fort

Les principes du droit international restent inscrits dans les traités et les discours. Mais partout dans le monde, ils s’amenuisent face aux logiques de puissance, d’occupation et d’abandon.
Par Maxime Sirvins
Le droit international, outil de progrès ou de domination : des règles à double face
Histoire 9 juillet 2025 abonné·es

Le droit international, outil de progrès ou de domination : des règles à double face

Depuis les traités de Westphalie, le droit international s’est construit comme un champ en apparence neutre et universel. Pourtant, son histoire est marquée par des dynamiques de pouvoir, d’exclusion et d’instrumentalisation politique. Derrière le vernis juridique, le droit international a trop souvent servi les intérêts des puissants.
Par Pierre Jacquemain
La déroute du droit international
Histoire 9 juillet 2025 abonné·es

La déroute du droit international

L’ensemble des normes et des règles qui régissent les relations entre les pays constitue un important référent pour les peuples. Mais cela n’a jamais été la garantie d’une justice irréprochable, ni autre chose qu’un rapport de force, à l’image du virage tyrannique des États-Unis.
Par Denis Sieffert
Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »
Entretien 2 juillet 2025 abonné·es

Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »

L’intellectuel syrien est une figure de l’opposition au régime des Assad. Il a passé seize ans en prison sous Hafez Al-Assad et a pris part à la révolution en 2011. Il dresse un portrait sans concession des nouveaux hommes forts du gouvernement syrien et esquisse des pistes pour la Syrie de demain.
Par Hugo Lautissier