Iran : Un accord historique mais temporaire

Pour la première fois depuis dix ans, les grandes puissances et l’Iran se sont entendus sur le dossier du nucléaire. Même si une marge d’incertitude demeure.

Lena Bjurström  • 28 novembre 2013 abonné·es

Après une décennie de tensions et de négociations, l’Iran et six grandes puissances (les États-Unis, la Chine, la Russie, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne) se sont finalement entendus sur le programme nucléaire iranien, dans la nuit du 23 au 24 novembre. Premier accord entre Washington et Téhéran depuis la révolution islamique de 1979, cette entente « marque surtout la reconnaissance de l’Iran comme puissance régionale », souligne le politologue Bertrand Badie, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri). C’est sans doute là l’enseignement principal de l’issue de cette longue négociation genevoise. Sur le fond, l’Iran a certes accepté de limiter son programme nucléaire en échange d’un allégement des sanctions internationales, mais cela ne vaut que pour six mois, le temps de voir si les promesses sont tenues. De nouveaux pourparlers pourraient aboutir à un accord définitif en 2014.

D’ici là, l’Iran s’engage à cesser l’enrichissement d’uranium à plus de 5 %, soit la teneur requise pour produire l’électricité, et à diluer son stock d’uranium enrichi à 20 %. Le gouvernement d’Hassan Rohani s’est également engagé à ne pas construire de nouvelles centrifugeuses à uranium et à suspendre les travaux autour du réacteur à eau lourde de la centrale d’Arak. Ce dernier point, exigé par la France, avait bloqué les négociations la semaine dernière. Le réacteur pouvait, à terme, produire du plutonium, filière alternative à l’uranium pour la production d’armes nucléaires et interdite par le Traité de non-prolifération des armes nucléaires, signé par l’Iran en 1970. L’accord ouvre donc les portes des sites iraniens aux experts de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui pourront y accéder, y compris de façon impromptue. Soit ni plus ni moins que ce qui était prévu par le protocole additionnel au Traité de non-prolifération des armes nucléaires, que Téhéran avait accepté d’appliquer fin 2003, avant de se raviser en 2006. Mais si, sur le principe, les autorités iraniennes ouvrent les portes aux experts, elles conservent une marge de manœuvre, selon Bertrand Badie. « L’une des grandes faiblesses de ce régime anti-prolifération, c’est qu’entre le principe de l’inspection et la réalité ponctuelle de ces inspections, il y a des décalages qui sont utilisés généralement pour donner le ton des relations internationales à ce moment-là », explique le politologue. « S’il y a des crispations, on interdira une inspection en considérant qu’elle n’est pas conforme à telle ou telle disposition. »

En attendant, les puissances occidentales ont promis qu’il n’y aurait pas de nouvelles sanctions. Les sénateurs américains, qui prévoyaient déjà un nouveau volet de contraintes économiques pour Téhéran, ont donc suspendu leur initiative. Quant aux Européens, ils ont décidé d’alléger dès le début du mois de décembre des sanctions existantes, comme l’embargo sur l’or, les métaux précieux, le secteur automobile et les exportations pétrochimiques. Les sanctions américaines, tout comme celles du Conseil de sécurité de l’ONU, resteront en vigueur tant qu’un accord définitif ne sera pas signé. Ce qui n’a pas empêché le rial, la monnaie iranienne, de gagner 3 % sur le marché des changes de Téhéran, après avoir perdu la moitié de sa valeur en deux ans. À son retour de Genève, le ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a été accueilli en héros, selon la presse iranienne. À en croire le président Hassan Rohani, ces négociations ont admis le « droit iranien à l’enrichissement » de l’uranium, point central de toutes les négociations depuis dix ans.

Enrichira, n’enrichira pas ? Le secrétaire d’État américain John Kerry a immédiatement contredit l’information et assuré que l’accord n’admettait pas ce « droit ». Diplomate, le Britannique William Hague parle de « programme d’enrichissement mutuellement défini et limité ». « Il y a toujours une partie un peu flexible et incertaine dans tout accord, car un compromis ne peut jamais se faire sur des renoncements clairs, nets et absolus de la part d’une partie », analyse Bertrand Badie. La poursuite des négociations pourrait donc se jouer sur cette marge d’incertitude. « Si les parties prenantes veulent aller de l’avant, cette marge d’incertitude jouera comme instrument de souplesse, estime le politologue. Dans le cas inverse, cela servira de rupture à n’importe quelle négociation. »

Monde
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