Pierre-Emmanuel Barré : attention, passage de sale gosse !

Chaque jour, Pierre-Emmanuel Barré signe une chronique de décryptage de l’actu sur Canal +. Une pépite d’humour noir et un ton politisé qui se fait rare sur le petit écran.

Jean-Claude Renard  • 7 novembre 2013 abonné·es

«S i je me plie à cet exercice grotesque, c’est bien parce que c’est écrit en tout petit dans mon contrat. Je voulais être Pierre Desproges, je serai Évelyne Dhéliat. » Et de décliner la météo dans un photomaton : « Globalement, un temps pourri. La bonne nouvelle, c’est que les clochards vont commencer à mourir de froid et que Claire Chazal va pouvoir faire un JT poignant, alors qu’elle s’en fout complètement tout le reste de l’année… Sinon, à Corbeil-Essonnes, il pleut. C’est bien fait, ils n’avaient qu’à pas vendre leurs voix à Serge Dassault. »

Voilà une présentation de la météo comme y en a pas des bottes. Un exercice imposé dans « La Nouvelle Édition », émission quotidienne en clair sur Canal +, animée, ragaillardie par une chronique de Pierre-Emmanuel Barré. Soit trois minutes de décryptage de l’actu. Du frais et fringant, politisé, au regard aiguisé sur la marche du monde. Ainsi de l’ouverture des magasins le dimanche, qui « nous concerne tous et serait créatrice de richesse, puisque cette journée de travail supplémentaire pourrait rapporter jusqu’à 0,3 point de croissance à notre beau pays. Une mesure qui devrait enrichir de nombreux Français. À commencer par la famille Mulliez, propriétaire de l’enseigne Leroy Merlin, qui s’intéresse tellement à l’économie française qu’elle a choisi de prendre du recul pour la contempler depuis la Belgique.  […] En tout cas, si vous voulez montrer votre désaccord avec le groupe Mulliez, c’est simple : boycottez les magasins Auchan, Flunch, Kiloutou, Midas, Decathlon, Kiabi, 3 Suisses, Norauto… Laissez tomber, on les tondra tous à la Libération, en même temps que Serge Dassault, Guillaume Musso et tous les noms en “o”, comme Nadine Morano, Brigitte Bardot, Manuel Vallso »… Le ton est caustique et éclairé, avec certaines cibles privilégiées, des politiques aux JT jusqu’à la philatélie quand la Grèce édite un nouveau timbre : « On les plaignait pour la terrible crise qu’ils traversent, finalement, on se dit que c’est un peu bien fait pour leur gueule. Une nation qui colle Nikos Aliagas sur ses enveloppes est une nation perdue. Je propose qu’on fasse comme si la Grèce n’existait pas. Pas d’inquiétude pour David Pujadas, ça ne bouleversera pas ses habitudes. » À chaque dépêche sa lecture revêche : « Selon le Figaro, trois cyclistes sur quatre sont mal éclairés. Une enquête qui dérange ! Mais la presse française est libre, et si le Figaro désirait enquêter sur l’affaire Dassault, il le ferait certainement sans hésitation. Pas besoin d’aller en Syrie pour voir des journalistes français pris en otage. » Israël ? « Ne jouez jamais au Monopoly avec Netanyahou  : il ne connaît pas les règles et met des maisons n’importe où, même dans les rues qui ne sont pas à lui ! » La cote de popularité de Valls ? : « Que s’est-il passé pour que notre ministre de l’Intérieur devienne la coqueluche de nos concitoyens ? Est-ce grâce à son action, son charisme, ou bien est-ce tout simplement parce que les Français sont des cons ? J’ai regardé les audiences de “Danse avec les stars”, je suis en mesure de donner une réponse… »

Dans le rouleau compresseur d’une langue alerte, tout le monde y passe, d’un nouveau « fait divers tragique à Nice : Christian Estrosi » au joyeux Aïd souhaité « à nos amis musulmans, surtout à ceux de Brignoles », en passant par Serge Klarsfeld, « au parcours irréprochable jusqu’à la naissance de son fils ». L’international n’est pas en reste. « Belle boutade de la fondation Nobel : l’Union européenne. Complicité dans le génocide Tutsi, ventes d’armes, Françafrique, pillage des richesses, soutien aux dictateurs, mépris de la démocratie à travers le déni des référendums, libertés individuelles bafouées, imposition aux peuples grec et italien de dictateurs technocrates issus des banques qui ont ruiné leur pays. Un ramassis d’ordures couronnées par les lauriers de la paix. On trépigne avec les prochaines nominations du comité.  […] Avec, pour finir en beauté, le Nobel de la paix pour Netanyahou. » On est loin ici des vannes salaces, des snipers polis du petit écran faussement impertinents, ridiculement irrévérencieux. Auteur de ses textes, influencé par l’humour anglais des Monty Python et d’Eddie Izzard, par le New-Yorkais George Carlin, lecteur de Bourdieu, abonné à Mediapart et Arrêt sur images, Barré possède ses billes, politiques, économiques. « À terme, on ne tient pas sans un minimum d’idéologie. » Il assène, correctionne ou rappelle encore intelligemment le dernier titre du Point sur les assistés : « On regrettera que le magazine ait omis de mentionner certains magazines comme le Point, qui bénéficie de 4 543 178 euros de subventions de l’État. Les assistés, ce sont ces parasites qui ne payent pas d’impôts, comme les chômeurs, les SDF, les intermittents ou François Pinault, troisième fortune de France, qui évite régulièrement l’ISF grâce à d’astucieux montages financiers, et qui, fâcheux hasard, s’avère être le propriétaire du Point.  »

Pierre-Emmanuel Barré a tout juste 29 ans. Étudiant en biologie à Rennes, ni convaincu par la génétique moléculaire ni convaincant, passé par le Cours Florent puis le théâtre classique, doué pour la plume, la crinière déjà poivre et sel, l’œil frisant des facétieux relevant de Pierre Desproges, l’engagement d’un Christophe Alévêque, l’esprit critique d’un Didier Porte. Étonnamment libre, assurément détonnant dans le paysage médiatique, il veut bien céder sur la forme « si elle est grossière », sans « rien lâcher sur le fond ». Mais attention : cinglant, drôle, Pierre-Emmanuel Barré n’est pas là uniquement pour  « acquérir une notoriété qui  [lui] permettra d’entretenir des relations sexuelles avec des jeunes femmes mineures ». Il a aussi pour rôle « de les instruire ». C’est son côté « curé de paroisse, en quelque sorte », ravi comme « un pédophile dans une crèche », qui se plaît à provoquer, noircir. Un sale gosse. Bosseur exigeant, le bougre aux 194 centimètres se prolonge sur les planches, seul sur scène, dans un one-man-show plus sociétal, mais non moins cinglant, taquinant les tabous, ou bien dans une pièce revisitant, bousculant par l’absurde, le Malade imaginaire. Du Molière version punk. Qui n’enlève rien à l’esprit critique, aux intransigeances.

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