Aventuriers de la balle et du son

Le jongleur Jérôme Thomas et le percussionniste Roland Auzet font dialoguer leurs disciplines respectives dans Deux hommes jonglaient dans leur tête, une épopée burlesque et onirique.

Anaïs Heluin  • 23 janvier 2014 abonné·es

Sur un fond rouge crépuscule se détachent des formes oblongues non identifiées. Des sortes d’ovnis en bois, à mi-chemin entre un hier un peu vague et un demain mystérieux. Inventés par Robert Hébrard, ces objets semblent attendre que quelqu’un vienne les révéler. Ce quelqu’un vient, et il s’appelle Jérôme Thomas. Juché sur deux blocs de bois qu’il fait péniblement avancer grâce à deux perches, l’homme a l’air d’un aventurier malgré lui, envoyé sur une planète inconnue par on ne sait trop qui et forcé de s’adapter à son environnement étrange. Aussi burlesque qu’à son habitude, le jongleur place alors Deux hommes jonglaient dans leur tête sous le signe d’un épique de pacotille à la Don Quichotte. Il est d’ailleurs accompagné de son Sancho, le percussionniste Roland Auzet, bien décidé à en découdre avec les objets qui leur barrent la route.

Tous deux entament alors un parcours de déchiffrement de la scène-univers en faisant dialoguer leurs disciplines respectives. Au contact des meubles-ovnis qui se trouvent être des instruments de musique, celles-ci se confondent, deviennent musique du jonglage et jonglage de la musique. Dans ce spectacle créé en 1998 et repris cette année, comme dans Forest (voir Politis n° 1259), la dernière création de Jérôme Thomas, le cirque ne fonctionne pas en vase clos. Lors de leurs confrontations – ou collisions – avec les sculptures musicales, les artistes s’animent jusqu’à entrer dans une transe rythmée par les sons électroniques mixés en direct par le compositeur Wilfried Wendling. Mais entre deux heurts avec ces petits systèmes toujours étranges en dépit de leurs efforts de décryptage, ils redeviennent absurdes baroudeurs soumis à des lois qui leur échappent. À chaque choc avec l’univers de Robert Hébrard, ils semblent obligés de recommencer à zéro leur exploration. D’un jonglage traditionnel avec balles ou massues à la manipulation des instruments en passant par des numéros de jonglage minimaliste – avec des grelots et une cravate, par exemple – dont il a le secret, Jérôme Thomas met tout son art en résonance avec celui de Roland Auzet, lui aussi polymorphe.

Selon la forme, la matière et toutes les complexes propriétés de chaque instrument, ce dernier tape ou caresse, fait valdinguer ou maintient sur place les objets musicaux. Il jongle avec les sons sans jamais épuiser le sens des microcosmes de bois et de métal.

Culture
Temps de lecture : 2 minutes