Défilé des anti-IVG : un parfum de Manif pour tous

Entre poussettes et discours guerriers, les anti-IVG ont manifesté ce dimanche à Paris.

Lena Bjurström  • 20 janvier 2014
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Défilé des anti-IVG : un parfum de Manif pour tous
© Photos: Lena Bjurström/Politis

Ils étaient 16 000 selon la police, 40 000 selon les organisateurs, à défiler contre l’avortement ce dimanche. La «Marche pour la vie», nom qu’ils se sont choisi, a lieu chaque année. Mais en 2014, galvanisée par le projet de loi espagnol visant à presque supprimer l’IVG, cette manifestation conservatrice a rassemblé davantage de monde que les années précédentes.

Le contexte est particulier. Alors qu’en Espagne, le Parti Populaire veut strictement limiter l’IVG, en France, l’Assemblée nationale examinera le 20 janvier la loi pour l’égalité Homme/Femme, au sein de laquelle deux amendements ont été introduits sur l’avortement.

Le premier prévoit de remplacer la notion de «situation de détresse» , présente dans la loi actuelle, par la volonté de «ne pas poursuivre la grossesse» . Le second amendement vise l’extension du «délit d’entrave à l’IVG» . Ce délit, qui, pour l’heure, punit les pressions et entraves à l’avortement au sein des établissements, devrait être étendu aux tentatives d’entrave à l’information, comme le blocage de centres du Planning familial.

«Socialistes, Dictature !»

De quoi agiter les rangs des anti-avortement qui s’insurgent aussitôt contre la «banalisation» de l’interruption volontaire de grossesse, dont se rendrait responsable le premier amendement. Quant au second, il ne serait ni plus ni moins qu’une entrave à leur «liberté d’expression» . A leurs yeux, derrière la prévention des blocages des centres du planning familial, c’est leur marche qui est visée. Et entre deux holas de soutien aux conservateurs espagnols, la foule hue le président socialiste, sa ministre des droits des femmes et scande : «Socialistes, Dictature !»

Entre le gouvernement et les anti-IVG, c’est la «guerre» , mot employé par Jean-Marie Le Méné, président de la fondation «pro-vie» Jérôme Lejeune. Celui-ci se défend d’attaquer : «Ce n’est pas nous qui relançons la guerre sur l’avortement, ce sont les parlementaires avec leurs amendements.» Et aux élus, la Marche pour la Vie répond avec une organisation bien huilée, qui se veut spectaculaire.

Les couleurs sont données, rouge et jaune, celles du drapeau espagnol. Les pancartes ont été distribuées : «Faudra-t-il aller en Espagne pour le garder ?» , «Je pense bio, je garde le petiot» , «Info menacée = IVG imposée» . Et chaque manifestant reçoit un foulard rouge. Régulièrement, le défilé est arrêté, et à l’appel des organisateurs, chacun est invité à placer son foulard sur sa bouche, et «à écarter les pieds et mettre les mains derrière le dos, comme les fusillés» , afin de protester contre cet amendement socialiste qui les empêcherait à l’avenir de dire «la vérité» sur l’avortement.

Contre le droit acquis par leurs aînées

De Denfert-Rochereau aux Invalides , de multiples bénévoles, pour la plupart étudiants, s’assurent du bon déroulement du défilé. Jeanne-Marie, Astrid et Charlotte sont de ceux-là. Elles arborent avec fierté leur foulard rouge. Le visage peinturluré, elles dansent au son de la chanson diffusée en boucle par la sono de la manifestation : «Depuis 40 ans / l’avortement / tue 200 000 enfants / dans le ventre de leur maman…» L’écho culpabilisant ne les choque pas. Elles ont entre 17 et 22 ans, et pour elle l’avortement «c’est un meurtre !» «C’est atroce, gémit Jeanne-Marie, nous sommes entourés de meurtriers !»

L’avortement, c’est un homicide, elles en sont persuadées. Et rien les convaincra du contraire : «L’argument du viol ne tient pas, assène Astrid, le bébé n’est pas responsable de la faute de la mère, euh, de l’individu. Si la femme tombe enceinte, elle doit accueillir la vie courageusement.» Quant à la possible mise en danger de la vie de la mère, cela ne compte pas pour Jeanne-Marie : «Rien n’est écrit ! Les médecins ne sont pas voyants ! Rien ne nous dit que la mère ne survivra pas, il faut prendre le risque !» Et peu importe le diagnostic médical.

Elles ne sont pas les seules jeunes adultes à fustiger ce droit durement acquis par leurs aînées. Sur un char, un militant interpelle la foule : «Moi j’ai 22 ans ! Et si les générations de nos parents et de nos grands-parents ont choisi de tuer leurs enfants, aujourd’hui il faut dire stop ! Rien n’est irréversible.» Il se dit fier de «la jeunesse française d’aujourd’hui» , «fier de cette manifestation» , qui n’a rien à envier aux défilés de la Manif pour tous.

Illustration - Défilé des anti-IVG : un parfum de Manif pour tous

De l’anti-mariage gay à l’anti-avortement

Poussettes et enfants en bas âge , les visages semblent les mêmes. Un peu partout s’agitent des drapeaux du mouvement lancé par Frigide Barjot. D’ailleurs, plusieurs organisations comme Alliance Vita et la fondation Jérôme Lejeune, présentes dans les manifestations contre le mariage et l’adoption des homosexuels, se retrouvent aujourd’hui dans la marche des anti-avortement. Pour de nombreux manifestants, c’est même le prolongement du mouvement du printemps dernier.

Alain, la quarantaine, ne serait peut-être pas là si les manifestations contre le mariage pour tous ne l’avaient pas initié au militantisme politique : «La manif pour tous, ça a été mon réveil politique. Je suis d’une sensibilité de droite, comme, je pense, beaucoup de gens ici, mais je ne fais partie d’aucun parti. Jusqu’à la Manif pour tous, je ne militais pas.» C’est également le cas de Morgane, qui entasse dans sa poussette, sur les genoux de son enfant endormi, des tracts des «Caryatides». Cette organisation militante exclusivement féminine s’est créée en mai dernier, dans la lancée de la Manif pour tous. Non loin de Montparnasse, sur le trajet du défilé, un homme distribue gratuitement aux enfants des avions en papier rappelant le slogan du mouvement du printemps dernier : «Un papa+Une maman» .

A l’arrivée du défilé, une «surprise» attend les manifestants : le show du jour, celui des Homen, ce mouvement militant né avec la Manif pour tous qui «performent» , torse nu, les valeurs de la famille et des couples hétérosexuels, à grand renfort de musique guerrière et de fumigènes. Pour Cécile Edel, le mouvement du printemps dernier a galvanisé la Marche pour la vie : «Il y a beaucoup plus de jeunes, c’est plus dynamique. Entre nous et la Manif pour tous, tout est lié.»

Société
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