Entre islamisme et laïcité, la Tunisie au milieu du gué

Séverine Labat analyse l’évolution de la vie politique tunisienne depuis 2011.

Olivier Doubre  • 16 janvier 2014 abonné·es

La Tunisie est aujourd’hui, plus que jamais, à la croisée des chemins. La concurrence politique, voire la bataille sans merci entre « laïcs » et « islamistes », semble se doubler d’un clivage « durable » entre « deux sociétés ». D’un côté, la « Tunisie conservatrice », représentant les régions « les moins nanties de l’intérieur, qu’est le parti du soulèvement contre l’ordre établi »  ; de l’autre, la Tunisie « progressiste et modernisatrice des villes côtières les plus développées », qui apparaît « politiquement conservatrice et aspirant au retour à un certain ordre social et politique ». Ainsi, le pays semble-t-il de plus en plus atteint par « une sorte de schizophrénie »

Fine connaisseuse du Maghreb, notamment de l’Algérie, sur laquelle elle a écrit plusieurs livres et réalisé des documentaires, mais aussi de la Tunisie, avec laquelle elle entretient des liens étroits, Séverine Labat, docteure en science politique et chercheuse au CNRS, a suivi les soubresauts de la société tunisienne depuis la chute de la dictature de Ben Ali, le 14 janvier 2011. Centrant son observation sur l’islamisme politique et son principal parti, Ennahda, qui, lors des premières élections libres de l’histoire du pays, est arrivé au pouvoir avec plus de 40 % des suffrages aux législatives d’octobre 2011, elle pointe surtout les divisions internes à cette formation, entre une aile modérée supposée vouloir jouer le jeu démocratique et une aile beaucoup plus radicale et prosélyte. Cette dernière est, selon l’auteure, tentée par la violence armée et un rapprochement avec les groupes salafistes. Lesquels n’hésitent pas, eux, à exercer des formes de terreur autant dans la société civile qu’envers les militants de la gauche laïque, démocrate ou marxiste, comme ce fut le cas avec les assassinats (qui leur ont été a priori attribués) des opposants Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Avec un risque de scission pour Ennahda. Toutefois, si la chercheuse pointe « l’islamisation manifeste de certaines franges de la société » et décrit bien les dangers du discours et des revendications politiques d’Ennahda, son analyse pèche un peu par une trop grande proximité avec celle des « éradicateurs », les plus farouches laïcs anti-islamistes.

Or, sans minorer le danger de la violence salafiste, on a pu voir récemment le parti Ennahda se retirer volontairement du gouvernement devant les troubles dans le pays. Et son importante majorité relative à l’Assemblée constituante a accepté la « parité dans les assemblées élues » (fait unique dans le monde arabe) et, surtout, un article proclamant que « tous les citoyens et les citoyennes ont les mêmes droits » et sont « égaux devant la loi, sans discrimination aucune ». Néanmoins, le livre apporte d’excellents éclairages sur la vie politique tunisienne, envers laquelle l’intérêt des médias français a tendance à décliner avec le temps.

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