« Gérard » du décryptage médias

Censé analyser l’univers de la télé, « Médias, le magazine », sur France 5, se préoccupe surtout de ne pas critiquer France Télévisions. C’est ballot !

Jean-Claude Renard  • 23 janvier 2014 abonné·es

Le pire du petit écran, récompensant des lauréats à l’insu de leur plein gré, c’est l’objet même des « Gérard de la télévision », cérémonie annuelle diffusée sur Paris Première. La huitième édition s’est déroulée lundi 13 janvier, devant un parterre fleuri de professionnels du secteur, mais peu de nominés. La cérémonie se veut potache, irrévérencieuse, parodiant les « 7 d’or », feu palmarès de la télé, disparu en 2003. Potache, elle l’est plus ou moins (comme si l’irrévérence avait encore sa place à la télévision !), elle est surtout moqueuse un brin, et on pourrait la prendre pour un programme de plus négociant avec l’ironie. Mais elle est, mine de rien, beaucoup plus révélatrice qu’il n’y paraît. L’intitulé de ses récompenses, goulûment long, changeant au gré du temps et de l’inspiration de ses auteurs, dit le paysage audiovisuel.

Dans cette dernière édition, le JT de Jean-Pierre Pernaut a reçu le « Gérard de l’émission qui nous rappelle le bon vieux temps où y avait pas d’iPhone, pas de Facebook, pas de Roms, pas d’Arabes et pas de gays qui vont manifester dans nos rues pour se marier alors que c’est contre-nature ». Le « Grand 8 », (sur D8), présenté par Laurence Ferrari, Roselyne Bachelot et Audrey Pulvar, a reçu le « Gérard de l’émission où les chroniqueurs servent à rien, mais comme l’animateur non plus, ça se voit moins ». « Le Grand Journal » s’est vu attribuer le prix « de l’émission dont les producteurs se sont dit : bon, ça fait vingt ans qu’on se la joue chaîne cool, chic et transgressive, mais on sait bien qu’en vrai on a un public de gros beaufs comme les autres, alors on y va, on invite Nabilla ». Laquelle a reçu le « Gérard du projet d’émission jeté aux chiottes par toutes les chaînes, mais apparemment les canalisations débouchent chez NRJ 12 ». Si Alessandra Sublet, Cyril Hanouna et Jean-Marc Morandini ont été salués, parmi la dizaine de récompenses, la liste des prétendants est loin d’être exhaustive. Elle pourrait ainsi comprendre « Médias, le magazine », au titre du programme « de la télé qui regarde la télé, qui voudrait avoir l’air et n’a rien d’autre à proposer qu’une certaine complaisance ». Chaque dimanche, sur France 5, à 12 h 35, animé par Thomas Hugues, entouré d’« experts », « Médias, le magazine » se présente comme une émission de décryptage du petit écran. On analyse la communication des politiques, mais sans l’acuité du « Petit Journal » de Yann Barthez, on invite un producteur, un animateur ou un journaliste pour présenter sa nouvelle émission, et finalement faire ce qui ressemble à une promo, on tacle les programmes à l’étranger ou les campagnes de pub des radios, on donne les audiences, on parle de la bataille des droits sportifs, du salaire des animateurs. On se moque au passage de l’élection de Miss France sur TF1, de Nabilla sur NRJ 12, ou encore du programme « La France a un incroyable talent » sur M6.

Surtout, on se garde bien de critiquer son groupe, France Télévisions. On fait ainsi la part belle à Alessandra Sublet, pour « Fais-moi une place », sur France 5, à la série « Fais pas ci, fais pas ça », sur France 2, à Marie Drucker, pour son nouveau rendez-vous consacré aux modes de vie des Français, sur France 2, au documentaire Dans le secret du Conseil des ministres, sur France 5 ou « au travail remarquable » de Marie Drucker (encore) pour son doc sur Aznavour, sur France 2. Dans cet esprit, bien évidemment, on est loin d’évoquer les affaires de Patrick de Carolis, entre les mains de la justice pour « favoritisme et prise illégale d’intérêt », de trouver le moindre reproche à faire à Frédéric Lopez pour son néocolonial « Rendez-vous en terre inconnue », à Stéphane Bern pour ses crétineries dans « Comment ça va bien ! », à tous les programmes de « scripted reality » diffusés sur le service public. Et quand il s’agit de traiter du vide ou de la médiocrité compensés par de la musique, du rire et des applaudissements forcés, on évoque tout naturellement Thierry Ardisson et non Sophia Aram. Qui a reçu ce lundi 13 janvier, pour « Jusqu’ici tout va bien », le « Gérard de l’émission dont les concepteurs auraient peut-être dû attendre les audiences avant de lui donner un titre ».

Médias
Temps de lecture : 4 minutes