« At Berkeley », de Frederick Wiseman : Berkeley, une utopie démocratique

Frederick Wiseman signe un film politique en montrant la société complexe que constitue l’université.

Christophe Kantcheff  • 26 février 2014 abonné·es

Pour chacun de ses documentaires, Frederick Wiseman s’immerge dans une « institution ». Il nomme ainsi « un endroit qui existe depuis un certain temps, dont les frontières géographiques sont assez bien définies et où l’on estime que le personnel essaie de bien faire son travail »  [^2]. Ce peut être un tribunal pour enfants ( Juvenile Court, 1973), la Comédie-Française ( la Comédie-Française ou l’Amour joué, 1996), un club de boxe ( Boxing Gym, 2010), ou, pour la première fois, une université.

Pas n’importe laquelle : Berkeley, aux États-Unis, université publique ultra-performante. Hormis les plans d’ensemble inauguraux – qui montrent que le site de l’université est encastré dans l’espace urbain –, le film s’ouvre sur deux séquences qui donnent le la. Dans la première, le directeur de Berkeley annonce un important désengagement financier de l’État de Californie. Dans la seconde, une professeure de science politique échange avec ses étudiants. Une étudiante noire interpelle les autres et leur demande s’ils s’intéressent à la pauvreté parce que celle-ci désormais touche la classe moyenne, à laquelle ils appartiennent. On aura compris que At Berkeley est un film éminemment politique. Non parce que Frederick Wiseman en a décidé ainsi. Mais parce que partout où il va filmer – dans des cours de littérature ou d’entomologie, lors des réunions de la direction, au sein d’une manifestation étudiante… – tout renvoie à cette question : comment, dans un contexte où l’enseignement public est menacé, sauvegarder ce joyau qu’est Berkeley ? Un joyau qui ne tient pas seulement à son excellence, mais parce que Berkeley réussit à inscrire une utopie sociale dans les faits, les étudiants pauvres y obtenant des bourses, ceux des classes moyennes voyant leur endettement maîtrisé. Rien d’hagiographique dans le regard de Frederick Wiseman. Mais At Berkeley suscite une émotion de gratitude envers ceux qui se battent à la tête de cette université, mettant en pratique une vraie démocratie éducative. At Berkeley est l’ambassadeur d’une certaine Amérique, celle de l’intelligence et de l’humanisme.

[^2]: Frederick Wiseman, de Marie-Christine de Navacelle (dir.), Gallimard/MoMA, 2010.

Cinéma
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