Chair de philosophie

Avec Projet luciole, Nicolas Truong donne corps à la pensée critique du XXe siècle.

Anaïs Heluin  • 6 février 2014 abonné·es

Une table, des livres, un présentateur et deux invités. Si elle n’était jonchée de feuilles volantes, la scène de Projet luciole aurait l’air d’accueillir une rencontre littéraire tout ce qu’il y a de plus traditionnel. Et ennuyeux, sous-entend l’essayiste Nicolas Truong, qui, après une courte entrée en matière, s’éclipse du plateau. Les comédiens Nicolas Bouchaud et Judith Henry se retrouvent seuls.

Commence alors une joute amoureuse nourrie par les mots d’une dizaine de penseurs du XXe siècle. Par les corps des deux ** interprètes aussi. Car, pour faire vibrer des paroles critiques diluées dans l’air du temps, il faut de la chair, des gestes d’ici et de maintenant. Comme dans la Loi du marcheur, où Nicolas Bouchaud incarnait la pensée en actes de Serge Daney, dans ses grandeurs autant que dans ses fragilités. Lorsque Judith Henry enfile une robe, quand elle se laisse aller à une petite danse ou tente d’étreindre son compagnon de scène, elle dit autant de Walter Benjamin, d’Alain Badiou, de Jacques Rancière ou de Theodor W. Adorno que lorsqu’elle ne fait que parler. Avec Nicolas Bouchaud, elle est une réveilleuse de lucioles. Présents dans chaque texte, dans chaque geste de la pièce, ces symboles de l’amour et du désir d’être ensemble remplissent de joie la scénographie minimaliste. Ils prouvent que la disparition des lucioles, annoncée en 1975 par Pasolini, n’est pas une fatalité. À condition qu’en plus d’être philosophiques le théâtre et la vie sachent faire la part belle à la trivialité.

Théâtre
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