Finances locales : Ces maires qui jettent l’écharpe

Le bouleversement territorial engagé par le gouvernement met à mal les moyens des petites communes. De nombreux édiles renoncent à se représenter, pris en étau entre les demandes de leurs administrés et une réduction drastique des budgets publics.

Thierry Brun  • 6 février 2014 abonné·es

Les temps sont durs pour les maires, en particuliers ceux des villes de taille modeste, souvent situées en milieu rural. Jean-Marie Darmian, maire de Créon, commune de 4 200 âmes située à quelques encablures de Bordeaux, a jeté l’éponge. « Les finances locales, c’est la raison pour laquelle je ne me représente pas ! Je viens de rédiger la charte d’engagements réciproques entre l’État, les collectivités et les associations : cela va être une catastrophe pour la gestion créonnaise », lance ce socialiste élu depuis 1983, qui a engagé sa commune dans une « autogestion associative » .

Chargé de contrôler la répartition de la dotation globale de financement des collectivités, le Comité des finances locales (CFL) explique la raison pour laquelle les dotations de l’État baisseront cette année et en 2015. Dans un rapport publié en septembre 2013, l’observatoire du CFL indique que cette réduction a été portée à 1,5 milliard d’euros en 2014 et autant l’an prochain, « afin de financer le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) » de 20 milliards d’euros destiné aux entreprises.

Selon la loi de finances pour 2014, la dotation aux communes est diminuée de 588 millions d’euros, et la dotation d’intercommunalité des Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) est réduite de 252 millions d’euros. L’effort fiscal demandé aux maires concerne aussi le Fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC). La pression fiscale organisée par le gouvernement doit renforcer les territoires industriels, souligne la loi de finances pour 2014. Des mesures financières dérogatoires sont aussi prévues pour les « communes nouvelles » regroupant une population inférieure ou égale à 10 000 habitants, de manière à centraliser les collectivités locales pour faire des économies budgétaires.

Vice-président chargé des finances au conseil général de la Gironde et secrétaire général adjoint de l’Association des maires de France (AMF), Jean-Marie Darmian explique qu’il n’est pas le seul dans cette situation : « Dans mon canton, le plus grand de France en nombre de communes, 55 % des maires arrêtent ! Les élus sont pris dans un étau avec, d’un côté, les revendications permanentes des électeurs –  trottoirs, routes, crédits, subventions, équipements structurants, logements, éducation, culture, sport, etc.  – et, de l’autre, une restriction rapide et féroce de leurs moyens financiers.   » Sans parler du ras-le-bol fiscal : «  Augmenter les impôts locaux ? Les élus se feront écharper par les contribuables ! Si je veux répondre à l’attente de mes concitoyens, je n’ai que la solution de l’endettement !  », réplique l’élu. Un document confidentiel du ministère de l’Intérieur [^2] confirme cet état d’esprit : « Une proportion significative de maires sortants ne se représentera pas », indique cette synthèse, qui pointe la « complexité croissante de la réglementation », la « diminution des dotations de l’État » et la « montée en puissance des intercommunalités ». En 2013, une étude sur les finances locales publiée par La Banque postale et l’AMF illustre « le supplice du garrot que l’État applique depuis cinq ans aux collectivités locales », résume André Laignel, maire socialiste d’Issoudun (Indre) et président du Comité des finances locales, un organisme consultatif. À deux mois de la fin de leur mandat, nombre de maires de petites villes, rurales ou non, ne cachent pas leurs difficultés à boucler le budget municipal, d’autant que, à la différence de l’État, « les acteurs publics locaux sont soumis à la règle de l’équilibre budgétaire », explique Patrick Saurin, spécialiste de la dette locale, membre du Collectif d’audit citoyen de la dette et porte-parole de SUD-BPCE. Beaucoup dénoncent le jeu de la baisse de la dotation globale de fonctionnement des collectivités (DGF) et de la hausse des charges due à des transferts de compétences, une variable d’ajustement utilisée par le gouvernement pour réduire la dette publique.

« On estime que les budgets d’investissements baisseront de 20 à 40 %. Mes collègues donneront la priorité au fonctionnement. Cela produira un effet contraire à celui recherché par le gouvernement pour réduire la dette publique. Je ne crois pas que le fait de diminuer la capacité à investir des collectivités soit productif   ! », réagit Jean-Marie Darmian. « La diminution des investissements des collectivités aura des conséquences désastreuses, car elles assurent en France plus de 70 % de l’investissement public national et font vivre de très nombreuses entreprises », ajoute Patrick Saurin. De plus, après les annonces récentes de François Hollande, les maires ont le moral au plus bas. Pour convaincre les élus locaux de jouer le jeu d’une simplification du millefeuille territorial, le chef de l’État a brandi le bâton de la remise à plat de la DGF, qui pourrait « varier en fonction des efforts de chacun ». De son côté, la Cour des comptes critique la gestion des élus. La progression des charges de fonctionnement des communes est plus rapide que les recettes correspondantes, indiquent les magistrats, qui mettent en avant les dépenses de personnel, lesquelles représentent 53 % des dépenses de fonctionnement et sont en hausse de 3,2 % par an de 2000 à 2012. Certains élus sont laxistes sur le temps de travail de leurs agents ou leur régime d’indemnités, estime la Cour.

« Nous avons un budget de fonctionnement de 12 millions d’euros sur 15 millions d’euros au total. Cette année, on va perdre en dotation de l’État 85 000 euros. Or, on doit financer la réforme des rythmes scolaires à hauteur de 230 000 euros. À cela il faut ajouter le désengagement de la direction départementale des territoires, car nous sommes une commune de moins de 10 000 habitants. Nous sommes donc contraints d’embaucher pour gérer nos permis de construire, ce qui nous coûte entre 40 000 et 50 000 euros. Cela entraîne un manque budgétaire important ! », réplique René Balme, maire Front de gauche de Grigny (9 200 habitants), une commune située au sud de Lyon qui a adopté une gestion participative. « On crie au scandale dans la mesure où l’État ne fait pas de distinction entre grandes et petites communes, ajoute Cédric Szabo, directeur de l’Association des maires ruraux de France (AMRF). Un grand nombre de petites villes et d’établissements publics de coopération intercommunale [^3] sont déjà à l’os. Ils ne peuvent rien faire et doivent supprimer certains des services qu’ils ont mis en place. » S’ajoute à cela l’envolée de l’endettement des collectivités locales, notamment à cause des emprunts toxiques : « Le budget 2014 prévoit une baisse de 15 milliards d’euros des dépenses de l’État et des collectivités locales. Ces dernières verront leur dotation globale de fonctionnement amputée de 1,5 milliard d’euros, dont 840 millions pour les communes et leurs groupements, précise Patrick Saurin. Mais il faut y ajouter un surcoût annuel de 1 milliard d’euros réglé directement aux banques par les acteurs publics locaux au titre des prêts toxiques. »

Surtout, les projets du gouvernement mettent en cause l’existence des 95 départements et des 36 679 communes de France métropolitaine. Les quelque 3 000 intercommunalités pourraient devenir la collectivité de base, absorbant les communes. Et la montée en puissance prévue des régions et des métropoles fragilise l’avenir des départements et des communes limitrophes de ces métropoles. « Nous dépendons de la métropole lyonnaise, pour laquelle Gérard Collomb  [maire socialiste de Lyon et président du Grand Lyon] s’est battu bec et ongles, constate René Balme. Cela provoque à terme la disparition des communes comme la nôtre, avec la mise en œuvre d’une structure technocratique qui aura une vision gestionnaire des territoires, en dehors de la représentativité populaire. C’est une vision très capitaliste ! » Candidat à sa réélection, René Balme a d’ores et déjà prévu dans son programme « un grand débat et un référendum sur l’avenir du service public local ». Il ne sera pas le seul, car les élus de la prochaine mandature « devront affronter une situation encore jamais rencontrée dans la République », prévient Jean-Marie Darmian, qui dénonce « la suppression du reversement de la taxe sur l’électricité, la suppression de la taxe de raccordement au réseau collectif d’assainissement servant à investir dans la collecte et le traitement des eaux usées, la suppression des compensations d’exonérations de taxe d’habitation, la suppression des dotations de bourgs centres… » Un inventaire de la réduction drastique des recettes communales souvent ignoré des administrés. Membre du Collectif des associations citoyennes, Didier Minot en constate les effets : «  Une forte pression est exercée pour une concentration des collectivités. Les communes se trouvent de plus en plus en difficulté pour financer les associations. La tendance nous montre que l’on va vers la suppression de 30 000 à 40 000 emplois associatifs en 2014 et 2015 pour l’ensemble des collectivités. »

Cédric Szabo confirme « le contexte extrêmement difficile pour développer des services à la population. Par exemple, sur les rythmes scolaires, les villes rurales ont deux fois moins de moyens pour développer un service de qualité après la fin des cours. Nous avons moins de personnel par habitant, moins d’ingénierie, moins de capacité à capter des financements qui pourraient compenser la faiblesse des financements de l’État, alors que la croissance démographique dans le monde rural est plus importante que dans l’espace urbain ». Jean-Marie Darmian est très critique sur l’attitude du gouvernement concernant les finances locales : « Il est indéniable que la tactique n’est pas d’attaquer de front le “bloc communal”, mais de tellement l’affaiblir qu’il ne pourra plus survivre en 2016, quand un point sera fait sur la réforme territoriale. Bercy a compris qu’il pouvait se servir des finances locales comme d’un moyen de modifier le millefeuille territorial. »

[^2]: Publié dans le Canard enchaîné du 29 janvier.

[^3]: Les EPCI regroupent les communautés de communes, les communautés d’agglomération, les communautés urbaines et les métropoles.

Politique
Temps de lecture : 7 minutes

Pour aller plus loin…

« Développer toutes les mutineries contre la classe dominante »
Entretien 17 avril 2024 abonné·es

« Développer toutes les mutineries contre la classe dominante »

Peter Mertens, député et secrétaire général du Parti du travail de Belgique, publie Mutinerie. Il appelle à multiplier les mobilisations contre l’Europe néolibérale et austéritaire sur tout le Vieux Continent.
Par Olivier Doubre
« Les Écolos, c’est comme les pirates dans Astérix qui se sabordent eux-mêmes » 
Politique 12 avril 2024 abonné·es

« Les Écolos, c’est comme les pirates dans Astérix qui se sabordent eux-mêmes » 

À la peine dans les sondages pour les élections européennes, avec une campagne qui patine, le parti écologiste se déchire sur fond d’affaire Julien Bayou. La secrétaire nationale, Marine Tondelier, tente d’éteindre le démon de la division.
Par Nils Wilcke
« Il est presque sûr que des eurodéputés RN ont reçu de grosses sommes de la Russie »
Entretien 11 avril 2024 abonné·es

« Il est presque sûr que des eurodéputés RN ont reçu de grosses sommes de la Russie »

À deux mois des élections européennes, l’ONG internationale Avaaz part en campagne contre le parti de Jordan Bardella et Marine Le Pen dont les sulfureux liens internationaux sont inquiétants.
Par Michel Soudais
« La gauche de demain doit être soucieuse d’un rassemblement démocratique »
Entretien 10 avril 2024 libéré

« La gauche de demain doit être soucieuse d’un rassemblement démocratique »

Le professeur de science politique Philippe Marlière est coauteur d’un court ouvrage étrillant la classe politique française et interpellant six personnalités (dont Hollande, Macron, Mélenchon). Pour lui, la gauche doit se repenser si elle souhaite devenir majoritaire.
Par Lucas Sarafian