La gare de Drancy en alerte

À la frontière de trois villes de Seine-Saint-Denis, la gare de triage, où transitent des produits dangereux, inquiète les riverains. Les cheminots, quant à eux, veulent maintenir l’activité de fret.

Florent Lacaille-Albiges  • 6 février 2014 abonnés

Au mois de décembre, la sirène a retenti deux fois à la gare de triage de Drancy-Le Bourget. Sur ce site, le dernier encore actif en Île-de-France, la sirène signale un incident (grave ou non) impliquant un wagon de produits dangereux. Le 23 décembre, c’est un wagon de déchets radioactifs qui est sorti des rails, provoquant la panique chez les riverains, qui n’ont aucune consigne pour faire face à une urgence. Une dizaine de jours plus tôt, un fourgon vide servant au transport d’acide chlorhydrique avait aussi déraillé, après avoir percuté un autre wagon à cause d’une panne de freinage.

Ces deux alertes ont cristallisé les inquiétudes. Le 11 janvier, le Collectif de riverains de la gare de triage (Corigat) a organisé une manifestation dans la ville voisine du Blanc-Mesnil. Avec trois cents personnes, une dizaine d’élus locaux et une bonne couverture médiatique, l’événement a été un succès. Parallèlement, les maires blanc-mesnilois et drancéen ont chacun déposé une plainte. « Nous commençons à être entendus, nous continuerons jusqu’à obtenir satisfaction, déclare Alain Ramos, élu divers gauche au Blanc-Mesnil et président du collectif. Nous avons établi un rythme d’une action par mois. » Pourtant, la gare de triage fait partie du paysage : depuis 1872, elle étale ses 48 voies le long de la ligne de chemin de fer. Elle trie 800 wagons par jour et fait partie des trois principales gares de triage françaises, sans conflit majeur avec le voisinage jusqu’à l’année dernière. De mémoire de cheminot, il n’y a d’ailleurs jamais eu d’accident ayant causé un déversement de matières dangereuses à Drancy. Mais, ce qui a provoqué la colère des riverains, c’est la publication en avril par la préfecture d’un « porté à connaissance » interdisant toute nouvelle construction dans un rayon de 620 mètres autour de la gare. Cette zone correspond au territoire qui serait affecté par une fuite d’acrylonitrile, un sous-produit toxique, mutagène et hautement inflammable de la pétrochimie. C’est ainsi 20 % du territoire du Blanc-Mesnil, 30 % de celui de Drancy et une petite portion du Bourget qui pourraient être touchés, dans des villes très densément peuplées. Mais, pour les habitants, la conséquence la plus sensible de la décision préfectorale, c’est la forte baisse de la valeur de leurs maisons, désormais implantées sur des terrains devenus inconstructibles. Le 8 février, le Corigat proposera donc aux Blanc-Mesnilois d’en référer aux services du Trésor public en charge des impôts locaux.

Depuis juin, l’association réclame l’arrêt du transit et du stationnement de wagons de matières dangereuses. Mais Alain Ramos précise qu’il ne souhaite pas la fermeture du site. Un compromis impossible pour Fabien Bredoux, de la CGT des cheminots de Drancy : « Si on perd les wagons dangereux, la direction de la SNCF fermera le site. Et les habitants ne seront pas plus en sécurité parce que les produits passeront sur l’A1, l’A3 et l’A86. » Ces trois autoroutes forment en effet un triangle de 10 km de côté autour de la gare de triage et des villes limitrophes. Alors, wagons ou camions ? D’après les cheminots, le fret ferroviaire était jusqu’ici nettement plus sûr que le transport routier. Mais la politique de la SNCF remet en cause cette sécurité : « Avant, dès le moindre soupçon, on changeait la pièce et on remplaçait le wagon défectueux. Actuellement, on n’a plus de wagons de rechange et on ne change la pièce qu’après la rupture, pour que ça coûte moins cher », explique Fabien Bredoux. D’ailleurs, à la gare de Drancy, les ateliers de maintenance ont fermé l’année dernière. Prenant appui sur l’accident de Brétigny et les problèmes récurrents du RER B, Alain Ramos pointe, de son côté, le délabrement du réseau. « Et les budgets de formation sont rognés, reprend Fabien Bredoux. En 2004, j’ai suivi deux ans de formation avant de vérifier les wagons. Maintenant, les collègues ne font plus que trois mois. » *Tant qu’on parle** de sécurisation, les cheminots sont donc prêts à discuter. *« Le problème, analyse Pierre-Olivier Bonfiglio, cheminot et CGTiste, c’est que le maire, Jean-Christophe Lagarde, n’a qu’un objectif : fermer la gare. Les terrains l’intéressent pour faire de Drancy un nouveau Neuilly. » La prochaine étape du conflit doit justement réunir dans un même comité les différents acteurs : cheminots, riverains, élus, préfecture, SNCF. « Il est possible de conjuguer la bataille des riverains et celle des cheminots, résume Éliane Assassi, sénatrice PCF et élue d’opposition à Drancy, mais, tant que ceux-ci auront le sentiment que le conflit peut mener à la fermeture de la gare, le dialogue sera difficile. »

Écologie
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