Portraits de barons

Claude Bartolone, Martine Aubry, Gérard Collomb et Christian Estrosi.

Michel Soudais  et  Pauline Graulle  • 27 février 2014 abonné·es

Claude Bartolone, le « don » de Paris

Claude Bartolone s’y voit déjà. Le président de l’Assemblée nationale ne fait pas mystère de sa volonté de troquer le perchoir pour le fauteuil de président de la Métropole du Grand Paris (MGP). L’ex-président du conseil général de Seine-Saint-Denis avance ses pions, méthodiquement. Mais vite. Cet été, il a poussé de jeunes députés de banlieue à reprendre le dossier et à porter la MGP « sur les fonts baptismaux législatifs ». Début janvier, il a obtenu que Philippe Yvin, un de ses anciens collaborateurs, soit nommé à la présidence du directoire de la Société du Grand Paris (SGP), après l’accession mi-décembre de Daniel Guiraud, maire des Lilas, à la présidence du syndicat mixte d’études Paris Métropole, structure où se retrouvent de nombreux élus réfractaires à ce qu’il considère comme son bébé. Puis demandé au maire PS du Pré-Saint-Gervais de lui réserver sur sa liste une place de conseiller municipal, un mandat nécessaire pour se porter candidat au 1er janvier 2016.

Pour cette échéance, « Don Bartolone » est déjà en campagne. Ménageant la droite, il déclare que la métropole ne fonctionnera que dans « l’unité » : après les municipales « le temps sera venu de passer le compromis historique ». La Métropole du Grand Paris « ne doit être ni de droite ni de gauche, elle doit être une ambition nationale au service […] de tout le pays », annonçait-il au Figaro le 7 février. L’ancien porte-flingue de Laurent Fabius n’aura aucun mal à se couler dans un consensus gestionnaire : à la tête de la Seine-Saint-Denis, il avait initié des partenariats public-privé pour la construction et la rénovation de collèges. Un fâcheux précédent.

Martine Aubry, « la Tsarine » du Nord

Pour la plupart des Français, elle est « la maire de Lille ». Mais dans le département du Nord, Martine Aubry est aussi la présidente de « Lille Métropole », une communauté urbaine de 85 communes, composée de grandes villes et de villages – le plus petit, Warneton, a 198 habitants – et ancrée dans le paysage politique local depuis la fin des années 1960. L’ancienne ministre des Affaires sociales du gouvernement Jospin a succédé à Pierre Mauroy en deux temps : la mairie en 2001, la communauté urbaine en 2008. En l’espace de deux mandats, « Titine de fer » est devenue « la Tsarine », un surnom popularisé par le président (PS) de la Région, Daniel Percheron, qui ne compte pas parmi ses proches.

À la tête de cette structure, qui a pris le nom de « métropole » en 1996 avant d’en avoir le statut, dotée d’un budget de 1,7 milliard d’euros, Martine Aubry règne sur un territoire qui concentre la moitié des entreprises de la région, mais 87 % de son PIB, et recense un peu plus de 1,9 million d’habitants. Et pour cela, elle a la haute main sur l’aménagement urbain et la gestion des services publics dans une quinzaine de domaines essentiels. Pas étonnant que l’ancienne patronne du PS n’ait nullement l’intention d’être Premier ministre : « Je n’ai qu’une ambition : être maire de Lille et présidente de la communauté urbaine, a-t-elle rappelé ces derniers jours au Point (10 février). Pour moi qui ai une formation économique, […] et qui suis passionnée d’urbanisme et de culture, que pourrais-je rêver de mieux que la ville et la métropole ? »

Gérard Collomb, bâtisseur mégalo

Maire de Lyon, président du Grand Lyon, du Pôle métropolitain, sénateur… Le sixième cumulard de France (selon l’Express) n’a pas assez de ses neuf mandats et fonctions. À 66 ans, Gérard Collomb veut aussi « sa » Métropole. Selon lui, la seule manière de peser dans une mondialisation réorganisée, non autour des États mais des villes. L’ancien rocardien, qui n’a plus de socialiste que sa carte – conservée « par fidélité » – a créé, à Lyon, un « système » « qui repose sur le clientélisme, la menace et le mensonge », dénonce la maire du Ier arrondissement, Nathalie Perrin-Gilbert. Elle se présente aujourd’hui contre son ancien mentor, en course lui pour un troisième mandat.

La martingale de ce grand bâtisseur mégalo ? L’ouverture de sa ville aux entreprises. Privatisation du ramassage des ordures, renouvellement de l’attribution de la gestion de l’eau potable à Veolia, vente d’un quartier entier à des spéculateurs immobiliers américains – aujourd’hui racheté par un immense fonds souverain d’Abu Dhabi… Sans parler du scandale de l’Hôtel-Dieu, l’hôpital historique du centre-ville transformé en complexe de luxe.

Si ce fils de prolo, devenu chantre de la flexibilité et du socialisme de l’offre, sait parler à l’oreille des patrons, c’est qu’il est « fasciné par le business et par le fric », grince son ancien opposant EELV Philippe Meirieu. Beaucoup moins amène avec les Roms, qu’il fait expulser manu militari, Collomb est aussi contre le droit de vote des étrangers ou le mariage pour tous, pour lequel il a quand même voté, à contrecœur.

Christian Estrosi, le comte de Nice

Avec la Métropole niçoise, première Métropole française née de la loi Sarkozy le 1er janvier 2012, c’est un peu le comté de Nice qui renaît de ses cendres. À sa tête, le député-maire sarkozyste Christian Estrosi. Rassemblement hétéroclite de communes rurales et de cossues bourgades côtières, « l’Estropole », comme certains la surnomment, compte 45 communes, presque toutes de droite. Un territoire découpé au gré des guerres de pouvoir entre les barons de la droite locale. Jean Leonetti, à Antibes, Bernard Brochand, à Cannes, ou Jean-Pierre Leleux, à Grasse, ont tous refusé de se mettre sous la coupe d’Estrosi, qui a vu son royaume rétrécir comme peau de chagrin.

De Beaulieu-sur-Mer à Isola 2000, les 545 000 habitants n’ont en revanche pas eu leur mot à dire. Ce qui faisait dire à feu le maire de Saint-Jean-Cap-Ferrat – petite commune devenue richissime depuis l’arrivée des Russes – qu’Estrosi et Ciotti avaient « englobé [les Saint-Jeannois] de force dans la métropole Nice-Côte d’Azur, afin de récupérer le fric ». Ambiance !
Au compte des premières réalisations, le retour dans le giron de la ville de Nice de l’eau potable, déléguée à Veolia depuis 150 ans. Christian Estrosi, cet ultralibéral sécuritaire, jadis défenseur de la peine de mort et de l’augmentation de la vitesse sur autoroute, est, étonnamment, un adepte de la régie directe. Aujourd’hui, l’ex-motard, que d’aucuns estiment « obsédé par la communication », est quasi sûr de se faire réélire pour un deuxième mandat. Mais, en face, les adversaires se multiplient. Au moins trois listes d’opposition, de droite et d’extrême droite, se présentent dans cette municipalité où Marine Le Pen a obtenu 23 % en 2012.

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