Russie : Sotchi, les jeux du tsar

La compétition olympique se déroulera du 7 au 23 février dans la station balnéaire du Caucase. Vladimir Poutine triomphe, malgré un budget exorbitant, une corruption massive et un désastre écologique.

Claude-Marie Vadrot  • 6 février 2014 abonné·es

Le 7 février, jour de l’inauguration des Jeux olympiques d’hiver, boudée par de nombreux chefs d’État, sera un jour de gloire pour Vladimir Poutine. Par le seul fait du prince, les Jeux olympiques d’hiver se tiendront pour la première fois dans une région subtropicale. En parcourant le peu qui reste de l’ancienne et belle vallée sauvage de la rivière Mzimta, en scrutant les pentes déboisées de la station de Krasnaïa Poliana ou les vestiges de la zone humide près de la mer, où sont installés les bâtiments réservés aux sports en salle, il est facile de comprendre que rien n’a résisté à la volonté du tsar. Ni les cours d’eau, ni les paysages, ni les hiérarques du CIO, « convaincus » un par un et en tête-à-tête le 4 juillet 2007 au Guatemala, ni les écologistes, ni les habitants de la région de Sotchi. Pas plus que le coût de ces Jeux : Poutine avait assuré en 2007 que le budget ne dépasserait pas 12 milliards de dollars, il s’élève aujourd’hui à 50 milliards.

Entre 30 000 et 40 000 policiers et militaires quadrillent la zone des Jeux. Depuis des semaines, aucun véhicule ne peut plus accéder à Sotchi par la route, et la frontière avec l’Abkhazie est fermée. Tant pis pour ceux qui n’avaient pas été prévenus, ils doivent abandonner voitures et camions aux barrages. Au risque de les retrouver dépouillés. Les forces de l’ordre quadrillent le territoire, procèdent à des arrestations préventives et fouillent les utilisateurs des transports. Parfois, pour « désorienter les terroristes », les autorités changent les horaires et les itinéraires des transports collectifs, sans prévenir les usagers.

Dernière invention sécuritaire : tous les slogans et inscriptions sur les banderoles devront être traduits en russe, la traduction devant être certifiée sur un document officiel.

Dans la montagne, depuis le mois de décembre, au moins 500 canons à neige très puissants s’efforcent de créer un tapis neigeux suffisamment épais pour les skieurs alpins. Si cela ne suffit pas, les responsables des Jeux continueront de puiser dans les quinze montagnes de neige mise en réserve au cours de l’hiver précédent : chacune, conservée sous bâches isothermes, a coûté un million de dollars. La nuit, des explosions réveillent les nouveaux habitants de la station de luxe édifiée dans le quartier Rosa Khutor de Krasnaïa Poliana : des spécialistes déclenchent des avalanches préventives car la neige naturelle tient mal sur la neige de culture. Les habitants redoutent une catastrophe. Comme celle qui, à quatre reprises, a provoqué des éboulements sous la piste de saut. Résultat : alors qu’elle devait coûter un milliard de dollars, son prix avoisine désormais 8 milliards, et nul ne sait si elle tiendra jusqu’à la fin des Jeux. Un surcoût qui s’ajoute aux ravages de la corruption, actuellement évaluée à au moins 20 millions de dollars. Sans compter les ouvriers venus des républiques d’Asie centrale, expulsés avant d’être payés par des entreprises frauduleuses et leurs sous-traitants. Ceux qui ont échappé aux rafles menées par les « brigades d’intervention » – policiers, hommes des services de l’immigration et volontaires chargés de « nettoyer » les rues de la ville – risquent la prison, et plusieurs centaines sont déjà incarcérés. Tant pis pour les nombreux ratés de construction : à Krasnaïa Poliana, des ouvriers (russes) s’affairaient encore quelques jours avant l’inauguration pour tenter de réparer des rues, des trottoirs, des rambardes et des toits déjà délabrés.

À Sotchi et sur son bord de mer, les anciennes installations balnéaires qui faisaient la réputation de la ville sont en ruine : pas un rouble de la transformation de la région ne leur a été consacré, alors que l’agglomération vivait de ce tourisme estival. Dans la ville saisie par la spéculation immobilière, les nouveaux et clinquants immeubles masquent ou remplacent les petites constructions qui faisaient le charme de cette capitale de la Riviera russe et de ses environs. Une spéculation qui a aussi provoqué la hausse des loyers, repoussant les habitants vers les lointaines banlieues ou leur interdisant désormais d’acheter un appartement. Quand ils n’ont pas été tout simplement expulsés et rarement relogés décemment. Ils se plaignent en vain, car le pouvoir régional leur oppose «  la loi des Jeux  » votée par la Douma russe (le Parlement), qui permet d’accélérer toutes les procédures. Y compris quand les rues nouvelles ou les bâtiments n’ont rien à voir avec les Jeux. Quand on interroge les journalistes sportifs et les athlètes déjà présents à Krasnaïa Poliana, ils haussent les épaules face à la revue de détail des atteintes aux droits de l’homme, des restrictions aux manifestations, des destructions de paysage, des pollutions, des déchets hâtivement enterrés et des effets possibles du changement climatique sur le bon déroulement des épreuves alpines. Ce n’est pas leur problème, « car il n’est pas question de gâcher une belle fête sportive ». Une « fête » dont de nombreux habitants de Sotchi, et pas seulement les écologistes, disent qu’elle a plus à voir avec l’argent qu’avec ce qu’il est convenu d’appeler « l’esprit olympique ».

Monde
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