Fragile jeunesse en zone de combat social

Un regard tendre de Nasser Djemaï sur des post-ados, entre dégoût du corps et révolte radicale.

Gilles Costaz  • 27 mars 2014 abonné·es
Fragile jeunesse en zone de combat social
© **Immortels** , Théâtre 71, à Malakoff, jusqu’au 28 mars, tél. : 01 55 48 91 00. À Toulon, le 4 avril (Théâtre Liberté) ; à Cergy-Pontoise (L’Apostrophe), du 8 au 11 avril. Texte chez Actes Sud-Papiers.

Ceux qui ont vu Invisibles (et qui le verront, car le spectacle tourne encore) n’ont pu l’oublier. Nasser Djemaï rendait la vie, la dignité, le droit à l’histoire aux « chibanis », ces travailleurs algériens âgés qui ne pouvaient rentrer au pays dans les années 1970 et survivaient, désespérés, dans des foyers – tout cela parce que la France ne leur aurait pas versé leur misérable retraite s’ils avaient quitté le territoire. Auteur et metteur en scène, chef d’une compagnie sise à Grenoble, Djemaï consacre sa nouvelle pièce à une tout autre génération, celle d’à présent, qui sort de l’adolescence et arrive sur les terrains du combat politique et social.

Un jeune homme, Samuel, est mort en tombant d’un toit. La police a relevé qu’il était ivre, puis a fermé l’enquête. Or, ce jeune homme ne buvait jamais. Pour comprendre ce qui s’est passé, son frère, Joachim, intègre le groupe de copains auquel appartenait le disparu. C’est un solitaire, il ne se lie pas facilement. Mais il ne va pas déplaire aux filles et se laisse attirer par la lutte armée que prônent les plus extrémistes du groupe. Peu à peu émerge la vérité. Ou plutôt plusieurs vérités. Il y a dans cet accident, qui est allé jusqu’à la tragédie, la part du désespoir personnel – lié à la révélation d’un secret familial – et les effets de la vie en groupe. Ne l’a-t-on pas provoqué, placé dans un défi impossible ? Après sa mort, la situation pourrait se reproduire pour son frère qui lui ressemble et auquel les plus exaltés proposent d’être sa réincarnation…

Le sujet, riche, trop riche peut-être, empêche Nasser Djemaï d’atteindre à la simplicité admirable de son spectacle d’avant. Il y a trop de romanesque, amplifié par une musique excessivement dramatique. En même temps, Djemaï parle de ce qu’il connaît, loin des stéréotypes sur la jeunesse. Tous ses personnages sont intéressants, avec leurs souffrances intérieures, leur mal de vivre, qui va du dégoût de son corps à la révolte radicale. On aime cet autre regard, plus tendre, plus complice sur les contemporains qui découvrent cruellement la société, ses jeux et ses enjeux. Djemaï trouve chez ses acteurs, et particulièrement chez Florent Dorin, une fièvre et une nervosité d’une belle authenticité.

Théâtre
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