Fusions et confusions

Les résultats du premier tour ouvrent à d’âpres négociations entre candidats, listes et partis, avec des règles et des stratégies parfois obscures.

Michel Soudais  • 27 mars 2014 abonné·es

Deux jours de tractations en tous sens. Entre dimanche soir et mardi 18 heures, ultime limite pour déposer en préfecture les listes candidates au second tour, les discussions sur les fusions de liste et les désistements pour « barrer la route » au Front national ont été bon train. Une conséquence du mode de scrutin, qui permet aux listes ayant obtenu plus de 10 % des suffrages exprimés de se maintenir au second tour. Mais qui les autorise aussi à fusionner dans l’entre-deux tours, y compris avec des listes ayant dépassé la barre des 5 %. Du fait d’un contingent important de listes EELV autonomes et plus encore de listes Front de gauche, avec ou sans le PCF, ainsi que de la forte présence des listes FN, un nombre inhabituel de candidats était, dimanche soir, en capacité de se maintenir. Ce qui pouvait déboucher sur 430 triangulaires, quadrangulaires, pentagulaires – et même une sextangulaire – dans les 904 villes de plus de 10 000 habitants. Limiter cette dispersion était donc, à gauche comme à droite, le premier enjeu des discussions, afin de se donner toutes les chances de finir en tête. Le mode de scrutin accorde en effet la moitié des sièges à pourvoir, plus un, à la liste qui obtient le plus grand nombre de voix, et répartit les sièges restants à la proportionnelle entre toutes les listes ayant obtenu plus de 5 %.

Depuis dimanche soir, les socialistes, en difficulté un peu partout, appellent sur toutes les chaînes et sur toutes les ondes « les électeurs de gauche à se rassembler ». Mais ce rassemblement n’est le plus souvent conçu que comme un ralliement. C’est le cas à Paris, où Anne Hidalgo a refusé d’intégrer des candidats des listes conduites par Danielle Simonnet (4,94 % en moyenne) dans les arrondissements où ils étaient au-dessus de 5 %. Des représentants du Front de gauche (deux PG et deux d’Ensemble) ont bien rencontré quatre représentants de la candidate socialiste, dont Ian Brossat, le chef de file des communistes, et Igor Zamichei, secrétaire de la fédération de Paris du PCF, mais la rencontre qui s’est tenue dans la nuit de dimanche à lundi au siège de la fédération du PS s’est mal passée. Les émissaires d’Anne Hidalgo ont reçu leurs homologues dans une réserve, entre balais, aspirateurs et rouleaux de papier toilette. Ils n’avaient pas prévu de chaises en nombre suffisant mais mettaient trois conditions à une fusion : que les élus PG ou Ensemble s’engagent à voter les budgets des six prochaines années, qu’ils soutiennent le programme d’Anne Hidalgo tel quel, et qu’ils reconnaissent s’être trompés en défendant une stratégie et un programme différents. Inacceptable pour Danielle Simonnet et ses camarades, lesquels ont donc décidé de se maintenir dans le XXe arrondissement, où leur score (10,4 %) le permet. En revanche, Anne Hidalgo n’a pas mis beaucoup de temps à s’entendre avec EELV. L’accord programmatique conclu avec Christophe Najdovski (8,86 % en moyenne ; 6,78 % en 2008) promet aux écologistes dix-huit sièges de conseillers de Paris, contre neuf actuellement, et quatre délégations d’adjoint.

Deux poids, deux mesures ? Un choix politique surtout. Deux types de fusion sont envisageables : la fusion programmatique et la fusion dite « technique » ou « démocratique », laquelle se limite à une prise en compte des résultats du premier tour et accorde à chaque liste engagée dans la fusion un nombre de siège proportionnel à son poids électoral dans le regroupement créé, permettant ainsi aux électeurs de chacun d’être représentés. La première suppose une grande identité de vue entre partenaires, la seconde préserve leur liberté d’appréciation et de vote. Exiger un accord programmatique et une loyauté sans faille dénote une conception monarchique de la politique, très présidentialiste façon Ve République ; le maire s’entoure d’une équipe qui lui est redevable et lui doit fidélité et obéissance. À l’inverse, la fusion démocratique s’inscrit dans une conception plus parlementariste, empreinte d’une culture de débat, où le conseil municipal est conçu comme une assemblée délibérante, l’exécutif étant exercé par le maire et ses adjoints. Entre ces deux conceptions de la démocratie, c’est la première que privilégie le plus souvent le PS. Autant pour des raisons de confort que par tropisme présidentialiste. Souvent aussi pour faire barrage à une opposition de gauche. À Lyon, Gérard Collomb avait fait savoir avant le premier tour qu’il n’entendait pas modifier l’équilibre de ses listes ; pour conserver sa ville, l’édile a toutefois accepté une fusion avec les listes EELV (8,9 %), mais pas avec celles du Front de gauche (7,56 %) qui ne peut se maintenir que dans le Ier arrondissement, où la dissidente socialiste Nathalie Perrin-Gilbert est arrivée nettement en tête (33,46 %), et dans le IVe arrondissement (10,02 %). Même cas de figure à Toulouse, où le maire PS sortant, Pierre Cohen (32,26 %), bien que très menacé, a fusionné avec EELV (6,99 %) mais rejeté le Front de gauche (5,1 %). En revanche, à Guéret (Creuse), le socialiste Michel Vergnier (42,94 %) a proposé à la liste Front de gauche, conduite par le PG David Gipoulou (15,28 %), une fusion sans discipline budgétaire, avec liberté de vote. Mardi midi, socialistes et écologistes étaient parvenus à s’entendre à Nantes, mais aussi à Rennes, où EELV se présentait avec le Front de gauche (sans le PCF). À Marseille, la fusion des listes PS et Front de gauche était également acquise, avec la perspective d’emporter trois secteurs de la ville. Mais à Lille, confrontée à l’intransigeance de Martine Aubry, la liste EELV (11,1 %) envisageait mardi matin un repêchage du Front de gauche (6,17 %) dans une fusion de dernière minute.

Dans ces rapprochements, une fusion aussi inédite que contre-nature a contraint le bureau exécutif d’EELV à suspendre la candidate Natalie Gandais ainsi que ses colistiers, dont Alain Lipietz, ex-député européen. Ces derniers se sont engagés dans une alliance avec trois autres listes (UMP, UDI et divers gauche) pour renverser Claudine Cordillot, maire communiste de Villejuif candidate à sa succession, à la tête d’une coalition PC-PS-MRC-PG. Côté PS, les retraits d’investiture menaçaient surtout les candidats qui auraient voulu se maintenir après la décision de la rue de Solferino de retirer ses listes là où leur maintien risquait de faire élire un maire FN. Un retrait souvent contesté et nullement réciproque. L’UMP refuse tout désistement au profit de la gauche. Cela n’a pas empêché Jean-Claude Gaudin de réclamer le retrait du PS, arrivé en 3e position derrière le FN et l’UMP dans le 7e secteur de Marseille,  «   pour ne pas faire le jeu du Front national ». Quant à Villeneuve-Saint-Georges, UMP et FN y préparaient une fusion pour prendre la ville au PCF. L’entre-deux tours tombe les masques.

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